Prévenir les morts subites d’origine cardiovasculaire, où en sommes-nous rendus?

Trimes.org tient a remercier Éric d’avoir écrit cet article pour nous éclairer sur les récents cas de décès durant les derniers marathons automnales. C’est un grand privilège pour nous de pouvoir publier cet article, et nous souhaitons vous rappeler l’importance de partager ce style d’information. (traduction > à diffuser sur vos facebooks, twitter et vous pouvez même en parler à votre pause café). 

Texte de Éric Contant, MD

La mort d’un athlète au Marathon de Montréal a fait tout un tollé dans les médias, d’autant plus que le dernier remontait à plus d’une dizaine d’années. Cette année, au Triathlon de NYC, deux athlètes sont morts dans la portion nage : un homme de 64 ans qui serait décédé d’une crise cardiaque ainsi qu’une athlète de 40 ans, ancienne nageuse de haut niveau qui n’était connu pour aucun problème cardiaque. Tous ces décès ont inquiétés plusieurs athlètes et aussi soulevés une question : aurait-on pu prévenir ces décès?

Tout d’abord, il me semble important de souligner le profil particulier des décès observés dans le triathlon. Comme vous le savez tous, le triathlon est composé de trois disciplines. Bon, c’est évident, mais une étude publiée en 2010 dans le JAMA démontrait que la grande majorité des décès ont été dans la portion nage! Quoi? Dans cette étude, le cardiologue Kevin Harris a vérifié le nombre et les circonstances de décès auprès des 2971 événements sanctionnés par USA Triathlon entre 2006-2008 le nombre et circonstances des décès. Ainsi, 13 des 14 recensés entre 2006 et 2008 se sont faits dans la portion nage. Tous les participants étaient âgés entre 28 à 65 ans et 11 étaient des hommes. Pour les curieux, l’autre décès était dans la section vélo, suite à une chute accidentelle. Pour les décès en mer, des signes de détresse avaient été observés chez 8 des 13 individus et 5 ont été trouvés inconscients sur scène. Tous les nageurs sont décédés par noyade mais des anomalies cardiovasculaires ont été notées chez 7 des 9 nageurs pour qui une autopsie a été effectuée.

Selon Dr Harris, le problème se situait surtout au niveau du délai pour reconnaître les gens en difficulté et leur venir en aide. Imaginez un athlète en détresse, au milieu d’une cohue d’une centaine de participants, au travers des bras en l’air et de l’eau qui éclabousse. Il faut tout d’abord que les sauveteurs l’identifient et puis se rendent jusqu’à lui. Pour les manœuvres de RCR, il semble que plus tôt les manoeuvres sont débutées, plus il y a de chance de survie. Donc, dans un contexte de folie totale d’un départ de masse en natation, tous les éléments pointent dans la direction de problèmes dans l’identification de gens en difficultés.

Causes de décès

Il semblerait que la littérature divise les athlètes en deux groupes : ceux de moins de 35 ans (appelons-les les jeunes) et ceux au-dessus de 35 ans (appelons-les les maîtres).

Les causes de mort subite se chevauchent entre les deux groupes, mais chez les jeunes, on retrouve surtout des anomalie du muscle du coeur, de son courant électrique ou d’une anatomie particulière. Toutes ces anomalies peuvent mener à une arrythmie maligne lorsque le coeur est près d’un effort maximal.

Voici quelques causes connues d’anomalies cardiaques chez le jeune athlète :

  • Cardiomyopathie hypertrophique (36%)
  • Anomalies congénitales des coronaires (17%)
  • Myocardite (6%)
  • Cardiomyopathie arrythmogénique du ventricule droit (4%)
  • Prolapsus de la valve mitrale (4%)
  • Sténose aortique (3%)
  • Athérosclérose (3%)

Aller dans les détails pathophysiologiques de ces maladies serait dépasser les objectifs de cet article.

Il faut aussi mettre le tout en contexte. Malgré que les décès chez les jeunes soient hautement médiatisés, le tout reste extrêmement rare (1-3 cas / 100,000 selon les études). Par contre, l’impact social est grand, car ce sont des gens en santé qui avaient encore toute une vie productive devant eux.

Chez les maîtres, contrairement à ce que l’on voit chez les jeunes athlètes, le décès n’est pas relié à une anomalie cardiaque congénitale non-décelée, mais à cause d’une atteinte cardiaque progressive due à l’âge et aux habitudes de vie, telles que vue dans la population générale : l’athérosclérose.

Pendant une course, une nage, une sortie de vélo, un IM ou n’importe quel effort, le cœur a une demande en énergie augmentée. Cette demande en énergie doit être équilibrée via un apport plus élevé, c’est l’offre et la demande. Si le cœur a de l’athérosclérose et que l’apport est diminué, le cœur souffre et là ça va mal. Un éventail d’événements peu arriver : l’athlète peut avoir une douleur à la poitrine et tout simplement arrêter l’effort, une plaque d’athérosclérose peut se détacher et boucher une artère complètement (infarctus), le cœur peut entrer en arythmie et créer la mort, etc. Mais la grande différence chez ce groupe est que l’on considère le cœur soit « malade » ou à risque élevé.

Le modèle italien

En terme de dépistage des maladies cardiovasculaires chez les athlètes, l’Italie est unique. Depuis 1982, l’Italie oblige tous les athlètes « compétitifs » à passer une évaluation médicale. Leur modèle est basé sur celui d’un groupe de médecins surspécialisée majoritairement des cardiologues, qui travaillent dans des centres pour l’évaluation des athlètes. Ces médecins posent des questions ciblées pour le dépistage des maladies cardiovasculaires, puis les athlètes sont examinés et passent un électrocardiogramme (ECG). L’ECG, qui était une spécialité italienne, s’est étendu au reste de l’Europe. En 2005, l’European Society of Cardiology (ESC) a changé ses recommandations et suggère de faire passer un ECG à tous les athlètes.

Une étude italienne parue en 2006 dans le JAMA s’est intéressée à ce programme de dépistage et à son efficacité. Un protocole strict recensait chaque mort subite chez les athlètes dans une région de l’Italie et tous les athlètes décédés subissaient une autopsie pour déterminer la cause du décès. L’étude a révisé de manière rétrospective le nombre de décès par mort subite pour trois périodes : 1979-1981 (soit avant l’implantation du modèle), 1982-1992 (pour analyser les premiers impacts d’un ECG systématique) et, finalement, de 1993-2004 (late phase). Les résultats sont assez révélateurs. Si on compare 1979-1980 et 2003-2004, l’incidence de mort subite de cause cardiovasculaire chez les athlètes a diminué de 89% ! L’incidence annuelle de mort subite en 1979-1980 était de 3,6 / 100,000 années-personnes puis elle est passée à 0,4 / 100,000 années-personnes pour 2003-2004. Petit bémol, dans les 24 années de l’étude, on compte seulement 55 décès au total. 89% est impressionnant, mais il faut relativiser les choses : une baisse importante d’un évènement rare le rend encore plus rare! C’est pourquoi plusieurs personnes se questionnent à savoir si faire des ECG à tout le monde vaut vraiment la chandelle…

Le modèle américain

D’habitude, les Américains se démarquent par le nombre excessif de tests médicaux qu’ils demandent. Cependant, quand vient le temps de dépister les athlètes, les recommandations américaines sont de ne PAS faire d’ECG! Seulement une historique et un examen physique sont recommandés. Par contre, s’il y a un élément positif à l’un ou à l’autre, un ECG est alors requis. Les raisons de ne pas faire un ECG sont légitimes : beaucoup de faux-positifs (le test est positif, mais en vérité l’athlète est sain), le coût total de tous ses tests alors que l’incidence est faible, certaines anomalies cardiovasculaires ne se manifestent pas sur un ECG, etc.

Une étude de coût-bénéfice est parue en 2010 dans le Annals of Internal Medicine concluait que inclure un ECG à une histoire et un examen physique chez de jeunes athlètes dans un contexte préparticipatoire avait des avantages. Cette étude, qui était une estimation de calculs mathématiques complexes plutôt qu’une étude en temps réel, à ses limitations bien sûr. Par contre, elle apporte des contre-arguments à ceux qui sont contre l’ECG de routine pour des raisons financières.

Athlètes plus âgés que 35 ans 

Comme dit précédemment, dans cette catégorie d’âge, la cause la plus fréquente de décès cardiovasculaire est la maladie athérosclérotique. Même chez un athlète maître en santé, qui a bien mangé et fait de l’exercice régulièrement toute sa vie, le vieillissement peut atteindre ses artères. Si on inclut dans ce groupe les anciens fumeurs, des gens avec un surpoids qui font du triathlon pour perdre du poids ou les gens qui veulent se remettre en santé, ce sont des gens qui ont l’air « en santé » actuellement, mais qui ne l’ont pas toujours été. Ainsi, ce groupe d’âge est hétérogène et rassemble des gens de tous les profils de santé possible.

Pour les athlètes plus vieux que 35 ans, un ECG est recommandé d’emblée. Il faut mentionner que la probabilité d’attraper un ancien infarctus chez un patient asymptomatique est rare.

Si le patient est âgé de plus de 65 ans ou a des facteurs de risque de maladie coronarienne, un test d’épreuve à l’effort est alors recommandé (on demande au patient de faire un effort, surtout sur des tapis roulants, et on fait un ECG en même temps). Tout test positif va nécessiter des tests supplémentaires ou sinon peut entraîner des restrictions.

En conclusion

En résumé, pour dépister des anomalies cardiovasculaires potentiellement dangereuses, il semble qu’une historique ciblée, un examen physique et un ECG sont indiqués. Cependant, il faut mettre tout ça dans un contexte que la mort subite chez un jeune est rare et qu’il y a beaucoup de faux-positifs qui vont entrainer un stress et des examens diagnostics inutiles. Par ailleurs, les études affluent surtout de l’Italie, où ils ont un système unique de médecins surspécialisés dans l’évaluation préparticipatoire chez les jeunes athlètes.

J’aimerais terminer en vous mettant en garde :

  • Les morts subites chez les jeunes athlètes sont rares, mais hautement médiatisées et effrayantes pour les autres athlètes
  • Si vous voulez avoir une évaluation préparticipatoire, il faut aller voir des médecins spécialisés dans le domaine. Au Québec, je pense surtout aux médecins sportifs ou aux cardiologues.
  • N’hésitez pas à donner votre opinion sur le blog et écrivez-moi si jamais vous n’êtes pas d’accord, j’aimerais vous entendre.

Merci à Trimes.org de m’avoir demandé d’écrire un article sur le sujet, ce fût un plaisir.

Références sur demandes

Éric Contant, MD

13 commentaires
  1. Je n’ai pas vraiment parlé des solutions « sur le site » dans mon article : rapport participant/sauveteur, partir en vague, former les gens pour reconnaître les gens en difficulté, etc.

    Les articles parlaient surtout des décès, mais j’ai rien vu passé sur les gens qui avaient un arrêt mais que la réanimation réussissait. Donc, des gens qu’on a sauvé. Ce serait intéressant de voir des statistiques sur le sujet.

    Il y encore beaucoup de choses que nous pouvons faire pour aider les gens

    Éric

    1. De mémoire, l’année dernière, j’ai vu une diminution du nombre de sauveteurs sur l’eau. C’est quelque chose qui est plutôt inquiétant… je ne connais pas exactement le dossier mais WTC a deja été poursuivi d’ou les fameuses décharges a signer avant une course. Tout cela pour dire que c’est quelque chose qu’il faut regarder…

      Aussi dans les systèmes, La fédération francaise impose une visite médicale pour l’obtention d’une licence. Malheureusement, ce n’est pas trop poussé comme contrôle mais c’est toujours cela. Il y a effectivement quelque chose a faire en amerique du nord, mais entre les couts trop chers (US) ou le manque de ressources (canada), c’est pas gagné.

  2. Superbe article Éric, merci!

    J’ajouterais également comme petite nuance à propos de l’étude réalisée sur l’approche Italienne qu’il aurait été intéressant de comparer l’évolution de l’incidence de ces cas avec d’autres nations où le système n’est pas implanté. Possible qu’une tendance naturellement vers la baisse soit également observée compte tenu la durée (prolongée) couverte par l’étude.

    Le résultat net devient à ce moment là le delta entre la diminution de l’incidence avec vs sans protocole de dépistage obligatoire.

    Mais bon. Ils y ont peut-être pensé.

    Je tends à modifier petit à petit mon approche comme entraîneur, utilisant de plus en plus la médecine en cours de processus (bilans sanguins et autres commodités). Je tenterai de développer l’habitude d’inclure le facteur cardiaque en plus.

    Merci!
    Charles

    1. C’est certain que si l’Italie avait été comparé avec un autre pays, le comparatif aurait p-ê eut plus de puissance!

      Ce que tu mentionnes est vrai et fait parti des biais de l’étude. P-ê, qu’à ce même moment, par exemple, l’Italie a eu une politique intérieure de diminuer la pollution des voitures et compagnies, augmentant la qualité de l’air et ainsi diminuer le nombre de morts subites. Ça peut être possible.

      Mais je dois dire que c’est assez standard comme méthodologie d’étude de comparer deux groupes des memes pays.

      Éric

      1. Tout à fait standard en effet. Juste un peu dommage qu’ils aient passé à côté dans ce cas là en particulier, puisqu’il est très peu probablement que cette mesure ait été, à travers les années, la seule déployée en Italie pour diminuer l’incidence des décès causés par des défaillances cardiaques liée à la pratique sportive.

        Par surcroit, on ne connait pas non plus les effets adverses de leurs mesures. Encore ici il aurait fallu comparer l’augmentation de la participation à de telles épreuves en Italie, après l’implantation des mesures vs ailleurs. Pas impossible que les cas de décès aient diminués, mais au pris d’un certain ralentissement dans l’augmentation du taux de participation à ce genre d’épreuves.

        Autrement dit mon point ici c’est que la sédentarité demeure bien plus dangereuse que la participation à des épreuves d’endurance.

        Sans savoir quelles sont les impacts sur l’augmentation du taux de participation du fait de rendre plus compliquée la participation aux épreuves, chui certainement pas en faveur de telles mesures, surtout si elles reposent sur des études du style de celle conduite en Italie.

  3. Alors la série de morts récentes dans les marathons et semis (Montréal, Toronto, Chicago, Philadelphie(2!)) ce serait avant tout un « statistical fluke » …. fiou!

  4. Nouvel article en date du 12 février dans le New England Journal of Medicine : « Cardiac Arrest during Long-Distance Running Races » … entrevue avec un des auteurs ici : http://peakperformance.runnersworld.com/2012/01/a-brief-chat-with-aaron-baggish-m-d-author-of-new-england-journal-study/

    Je n’ai lu que les résumés, mais en gros ça dit que les marathons ne sont pas dangereux pour le coeur et que les morts sont surtout des hommes avec des conditions pré-existantes qui tombent dans les derniers kms et sur lequel le RCR n’est pas pratiqué rapidement … cela à partir des rapports d’autopsie de morts dans les marathons américains des 10 dernières années …

    certaines questions sont soulevées, entre autres, pourquoi y a-t-il un accroîssement significatif des décès dans les 5 dernières années? Pourquoi bcp plus de décès en marathon qu’en demi-marathon, mais moins qu’en triathlon? Les auteurs apportent des pistes …

    1. Michel, j’ai lu ce texte. On est d’accord avec eux dans le sens que c’est préférable de ne pas être sédentaire et que courir des marathons n’est pas plus dangereux.

      La partie du débat (qui n’existe pas), c’est le nombre croissant d’athlètes élites qui meurent et qui ont souvent plus de 15 ans d’entrainements intensifs. Certains te parleront de dopage mais l’autre réalité est peut-être qu’avant les sportifs prenaient plus rapidement leur retraite, maintenant, il y a des personnes de 60 ans qui s’entrainent encore beaucoup et il semblerait que tu finis par endommager ton coeur à cause de la pratiuque

    2. je me souviens d’avoir lu en quelque part que les détenteurs des records par « age-group » en marathon était détenus par des gens qui couraient dans chaque tranche d’âge depuis qqs années seulement.

      Autrement dit, celui qui détient le record des 50-60 ans au marathon a souvent commencé à courir dans la 40aine, il ne faisait pas de sport de haut niveau à 20 ans …

      Les muscles+tendons selon Tim Noakes perdraient avec le temps+kilomètres de l’élasticité et donc la capacité de convertir les chocs avec le sol en vitesse

      donc on pourrait faire l’hypothèse similaire d’un raidissement similaire pour le muscle cardiaque du coureur de haut niveau sur une longue période ….

      mais c’est ce qui semble manquer à l’étude du NEJM, quel est le passé athlétique des morts « autopsiés »?

  5. Salut amis sportifs ! Bel article ! Effectivement les médias véhiculent une image très négatives malheureusement(pour beaucoup de médias, mort subite = dopage).
    Moi-même triathlète, je réagis à votre article quant aux visites médicales pour l’obtention du certificat médical nécessaire à la pratique de notre sport préféré : le modèle italien devrait servir d’exemple ! En France beaucoup de médecins délivrent à la va-vite les certificats médicaux sous prétexte qu’ils connaissent leurs patients depuis des années. C’est le cas avec mon médecin qui m’a pris entre deux RV pour me signer mon certificat. Sauf que… 3 semaines plus tard pour des raisons professionnelles je dus faire un ECG. Une petite anomalie fut détectée. Donc s’ensuivent échographie cardiaque (pas d’anomalie ouf ! tout va bien, test d’effort normal mais… cette petite anomalie ressort sur l’ECG. Donc un 3eme examen pour lever le doute m’attend dans les prochaines semaines ! Le cardiologue dans l’attente du résultat définitif m’interdit la compétition… D’autant plus frustrant que je n’ai aucun symptômes annonciateurs de complications cardiaques ! il est probable à 98 % que je n’ai aucune pathologie mais imaginez ma réaction ! On a l’impression de vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête… Ces examens ont pour but de vérifier que mon coeur s’est adapté aux entrainements depuis des années ou si j’ai une pathologie cachée. Tout cela pour dire qu’un contrôle chez le cardiologue de temps en temps ne fait pas de mal surtout pour lever le doute ! Car en attendant mes entrainements sont moins intenses !
    L’identification des nageurs lors d’un triathlon est effectivement un problème pour pouvoir intervenir rapidement. Malheureusement on ne peut pas mettre un cardiologue derrière chaque triathlète.