David Hauss se fait trimer. Londres avant, Londres après…

Le triathlon est l’un des sports qui impose un questionnement perpétuel puisque les élites sont sans cesse face à des choix. Cet aspect est d’ailleurs amplifié avec la domination des deux Brownlees. Ce choix de carrière requiert donc des athlètes avec un grand équilibre puisqu’un grand événement est généralement suivi par une phase de démotivation. Nos nouveaux triathlètes sont de mieux en mieux armés pour y faire face. Trimes à donc voulu en savoir plus et nous avons interrogé David Hauss, 4e aux Jeux olympiques puisqu’il est l’exemple parfait selon nous d’un athlète très équilibré et capable d’être patient et lucide dans son développement. Il est selon nous l’un des meilleurs exemples à suivre pour notre jeunesse. L’esprit et le corps! 

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Tu as pris une longue pause après les Jeux olympiques. Même si elle s’est prolongée avec des petits pépins. Peux-tu nous expliquer ce qui t’a poussé à te retirer du triathlon pendant un moment.  

Oui, c’est vrai. Le besoin de souffler était bien là. C’était une année bien consommée!

C’est amusant de se remémorer toutes les étapes du processus qui ont permis d’arriver à cette échéance. Cela faisait plus de 10 ans que j’étais parti « petit David » de la Réunion pour m’ouvrir les portes de mon rêve absolu.  C’était quelque chose d’ énorme quand j’y repense… Alors, en haut de ma montagne, j’ai voulu faire une pose, m’asseoir et apprécier le paysage…pour  mieux repartir.

Certaines choses permettent de décider plus facilement une direction à prendre. Alors que j’étais motivé à l’aube de cette saison même, je prends un coup de chaud KO-debout sur un 10kil, dans de grosses conditions climatiques. Là, j’ai eu la confirmation qu’il fallait mieux y aller cool cette année si je voulais me donner une chance de continuer.

As-tu eu cette impression d’avoir trop donné au triathlon et d’avoir perdu un équilibre? Le public pense souvent que les athlètes élites sont obnubilés par leur sport, mais quand on parle à des Simon Whitfield ou des Laurent Vidal, on se rend compte qu’il est important pour eux d’avoir d’autres passions pour justement y trouver un équilibre et mieux gérer ses émotions par rapport aux épreuves diverses…. 

À la suite de la campagne olympique que j’estime réussie, je me suis retrouvé vide, sans trop de repères sportifs, sans motivation. Et là, je me suis dit :

« Wouah, ça fait drôle et qu’est qu’on fait maintenant?? ».

Il manquait quelque chose, le vide était bien là. Le triathlon était devenu trop présent avec les Jeux et ça devenait monotone et puis, la situation de Mélanie, n’étant pas qualifié avec la Suisse,cela n’à pas aidé…

Nous nous sommes mariés et l’on a décidé de rentrer à la Réunion pour profiter du soleil, le moteur de la vie. Le soleil de ma vie!

Mon harmonie passe par cet endroit, ma famille est là, les amis proches, les sorties en montagne, les sessions surf, les bonnes fiestas et ma maison. Après 5 ou 6 mois en Europe j’ ai besoin de rentrer recharger les batteries, c’est équilibrateur.

Plus jeune je ne me rendais pas compte du besoin d’équilibre, qui est l’un des 3 piliers de la réussite dans la vie et du bonheur. Dès lors que j’ai compris ça, je suis devenu plus serein, plus confiant et donc plus fort.

Avec tous les jeunes qui pratiquent le triathlon, j’imagine que cela t’a rajouté de la pression pour le futur et qu’il y a plus d’attente afin que tu sois un modèle pour eux et que tu es de plus en plus conscient de l’importance de tes actions surtout qu’un triathlonien peut rapidement tomber dans le narcissisme… Comment gères-tu cela. 

Je ne suis pas sensible à ce genre de pression, je m’en nourris plutôt! J’aime donner du rêve aux gens, ce style de vie est particulier et j’ai conscience d’être un privilégié! Je passe mon temps dans des endroits magnifiques.  Que se soit sur la Côte d’Azur, en Suisse ou à la Réunion et les autres voyages que l’on peu effectuer ne sont pas mal non plus ! et pourquoi ? Faire de grosses courses à enjeux… Cela dit, il faut garder la tête sur les épaules au risque de dévier rapidement de l’objectif de performance intrinsèque.


MSJ_2182__mediumLorsqu’on a parlé avec ton père, on a toujours été étonné par cette dualité en disant que le triathlon n’est pas un tout et en même temps, vous avez une insatisfaction à être derrière les Brownlees et votre but est clairement la recherche du sommet. 

OUI le jeu est devenu de les battre clairement! Mais, on ne dit pas je vais les battre pour le faire. Il y a tout un cheminement derrière, une préparation longue et facétieuse. En faisant preuve de lucidité, on se dit ok, ces gars sont les meilleurs, ils influencent les courses comme jamais-ni personne alors quoi mettre en oeuvre pour les dominer (?)… malgré ça la domination persiste et on a même l’impression qu’ils ajoutent des cartes à leurs jeux sur chaque sortie. Ils sont de plus en plus forts.

Mais ne dit-on pas qu’évoluer, c’est céder à la fatalité!?

Cela devient très difficile de lutter sur la saison complète c’est pourquoi la motivation doit rester saine et les doutes mis de côté pour continuer à travailler dur et progresser encore et encore. On contrôle ce que l’on peut et on garde nos énergies pour des choses qui en valent la peine.

Avec le recul, comment vis-tu cette fameuse 4e place? J’imagine qu’un peu comme Laurent Vidal, tu t’es demandé après coup comment tu aurais pu avoir ces 25 secondes en toi pour avoir une médaille. 

Oui vraiment, nous avons réussi à élever notre niveau avec Laurent, en ayant le sentiment d’avoir tout donné et de nous être préparés de la meilleure des façons. Sur cette course, les plus forts étaient devant, les médaillés ont plus qu’assumé leurs rôles en pesant sur la course dès le départ. L’histoire était belle de performer le Jour-J, mais « Bravo, les Gars! ». Et même avec la pénalité de JB et en courant 29’50, je reste « loin » de la médaille donc il faut repartir travailler.

Il existe de plus en plus ce rapport entre la performance et le surentrainement et qu’on voit de plus en plus d’athlètes se bruler et disparaître. Le phénomène est surtout vrai chez les filles. As-tu ce sentiment des fois de faire des choix qui pourraient avoir des conséquences sur ton futur bon ou mauvais? 

La question est intéressante. La limite existe bien entre performance et surentrainement.

De manière générale, le triathlonien à tendance à trop en faire, ce que j’appelle le syndrome du « carnet d’entrainement » qu’on veut remplir coûte que coûte et au maximum. On délaisse alors ses sensations propres pour rechercher le kilométrage et arrondir ses moyennes horaires. Je crois qu’à ce moment-là, on est plus dans le vrai ! On perd toute omniscience, le rôle du coach est alors important, mais les erreurs font partie de l’apprentissage et elles permettent de s’accomplir dans la recherche de sa propre voie.

Mais,  ne nous mentons pas les meilleurs athlètes sont ceux qui arrivent à s’entraîner le plus possible, les filles ont une logique naturellement différente de celle des garçons, de par leur constitution génétique, mais aussi psychique.

J’ai pu me rendre compte à travers différents camps d’entraînement de par le monde, la force mentale qui inspire ou anime ces filles de haut niveau que bien peu de garçons peuvent imiter tant leurs implications est considérable voir même excessive. Il n’est pas surprenant « qu’à men-donnée » ça pète.

Je parle en connaissance de cause, pourtant de nature flemmarde et qui adore ne rien faire, j’en suis revenu, mais chacun garde sa part d’ombre. Il m’arrive bien sûr de faire des choix imbuvables !

En ce moment, la relève semble se focaliser sur les deux frères, et ironiquement, ils n’ont jamais autant contrôlé les dynamiques de course. Vous êtes désormais dans le même club avec Sartrouville. Est-ce que cela t’a permis de mieux les comprendre ou restent ils un peu dans leur sphère…?

J’ai eu l’occasion de les fréquenter et d’un peu mieux les connaître sur le dernier GP à Sartrouville. Ils ont l’air bien dans leurs baskets (est-ce la raison de leurs performances à pied…?), d’avoir quand même la tête sur les épaules (pour de meilleures coulées, allez savoir… ?) et, je pense que ça turbine pas mal là-haut( wattage ou pas…?), mais ils réfléchissent beaucoup !!!

Ce sont des jeunes de leurs temps, ils sont très relax que peu de choses peuvent déstabiliser. J’ai envie d’y croire.

JJC_0286__mediumOn se dit d’ailleurs souvent que certains se consolent face à la domination des Brownlees en pensant qu’ils ne dureront pas dans le sport. D’ailleurs, ils s’en vantent même d’ignorer les risques que tout s’arrête rapidement. J’imagine que ce n’est pas un prix de consolation que tu partages.

Je n’ai pas lu leur livre et ne possède pas la vision « public »  qu’ils peuvent donner vis-à-vis d’eux-mêmes ou de leur sport. Quoi qu’il en soit, ils peuvent stopper demain, la légende est déjà faite! On voit bien que la motivation est ailleurs. Un gars comme Gomez c’est pareil, cela fait 10 ans qu’il est en haut de l’affiche. c’est colossal !

La remise en question est permanente, cela témoigne de l’importance du mental dans la réalisation de la performance: jusqu’ou sommes-nous capables d’aller? Quel niveau de performance peut-on atteindre? et quel moyen est-on prêt à se donner pour cela ?

Ce sont des questions qui guident nos choix et pas en tant qu’ athlètes de haut niveau, nous tous dans la vie au quotidien.

Se réaliser en compétition est une chose différente, mais pourtant indispensable à l’assouvissement d’un athlète alors le matérialiser une bonne 10aine de fois de suite comme ils le font….comme on dit à la Réunion  » i maill pa  »

On a cette impression qu’ils ont totalement changé le sport puisqu’il n’est plus possible de cacher une faiblesse. Comment expliques-tu qu’ils soient toujours capables de tenir à distance les autres? Penses-tu que c’est le vélo qui est le dernier élément qui les tiennent à distance puisque Mola, Murray et toi semblez être en mesure de faire les mêmes temps en course à pied. 

La charge de travail ;-)) Non plus sérieusement, comme j’ai dit plus haut, ils réfléchissent beaucoup, ils ont des coups d’avance, cela leur permet d’affiner leurs stratégies et de la faire subir. Après le triathlon reste un sport jeune, il est normal que le niveau augmente de partout chaque année donc naturellement le vélo suive cette logique. Maintenant, on s’ aperçoit que c est la natation qui détermine le classement des finalistes. Chaque athlète joue ses coups à fond pour réaliser la meilleure performance alors il y a des tendances de fond qui apparaissent chaque saison et cela continuera d’évoluer. Le but étant clairement d’anticiper ces évolutions.

En ce moment, on peut dire que le talent français est en pleine explosion comme Le Corre, Luis, Raphael, et les juniors… On sait que vous avez des bonnes relations, mais il est difficile de ne pas les voir comme une menace pour Rio surtout que la sélection française risque d’être la plus difficile. Est-ce une problématique dont vous parlez?

Oui c’est vrai les derniers résultats sont très bons pour le triathlon français, la pyramide s’élargit et la force que l’on génère tous ensemble est très positive. Nous ne parlons pas de RIO ou des qualifs entre nous, nous n’en sommes pas la et pensons plus à vivre  l’instant présent et en profiter!  On sait juste que les meilleurs seront devant et iront aux Jeux.

Tout le monde tire dans la même direction pour progresser avec ses forces et ses faiblesses. Chacun se respecte avec pour valeurs principales et communes: travail, assiduité et amusement !!  Le but ce n’est pas d’être le meilleur frenchie mais le meilleur du monde.

D’ailleurs fais-tu partie de ceux qui voudraient voir la WTS prendre plus d’importance face aux Jeux olympiques? Nous on a toujours du mal à ce dire qu’un athlète qui domine son circuit peut avoir ce sentiment d’inachevé sans une médaille olympique. 

Je trouve regrettable c’est vrai qu’il n’y ait plus de course d’un jour sur le Championnat du monde. Pourquoi ne pas l’envisager comme en athlétisme tous les 2 ans? Alternant ainsi les années impaires, le Championnat d’Europe quelque peu délaissé avec la Série Championnat du monde qui devient routinier avec un championnat du monde unique l’année d’après. Cela permettrait une plus grande alternance non pas de Champion, mais d’intensité et de spectacle. Alors vous me direz que le triathlon n’est pas une histoire de spectacle certes, mais le but de l’ITU n’est-il pas d’aller dans les grandes villes pour attirer du monde et les médias!?

Les surfeurs l’ont bien compris, ils ont diminué leurs nombres de « rider » à 44 dans ce qu’ils appellent le « Dream Tour » pour en faire de véritable icône, créant un système de vase communiquant avec la division inférieure ainsi encourager les nouveaux talents.

Cela donnerait des courses moins dense et forcément plus spectaculaire.

Je crois que la direction prise en ce sens avec les Relais et les Sprints pour intégrer prochainement les JO s’y approche. Des multimédaillés verraient le jour ce qui donnerait beaucoup plus de crédit à notre sport.

Parlons de ton retour, tu viens de faire le Grand Prix de Sartrouville avec une performance qui n’est peut-être pas à la hauteur de ta forme puisque tu n’accroches pas le « front pack » pour un détail. J’imagine que cette course te permet d’arriver à Londres avec confiance surtout qu’il y a une crainte de perdre les réflexes de course… 

Non. La performance est bonne, le résultat un peu moins 😉 le reste sont des détails. La chose qui prime c’est la victoire par équipe et de se replacer au championnat avant la dernière manche.

J’ai constaté que je pouvais déjà rivaliser avec les meilleurs à pied, donc ça, c’est un bon point. Il reste à le refaire bientôt, mais c’est de bon augure pour la fin de saison. je peux être confiant.

As-tu résisté à la Seine? :p

Ah la Seine toujours un problème pour beaucoup ! Les politiques, les organisateurs, les spectateurs et bien sûr nous les athlètes. Beaucoup sont tombés malades et c’est un peu embêtant, en pleine saison qui plus est si proche d’une compétition importante. Je pense qu’en région parisienne. Il doit bien y avoir des endroits charmants, voire même romantiques, pour organiser un GP ? À bon entendeur… ;-))  Personnellement, ça ne me dérange pas de nager dans la Seine, j’ai été peu atteint.

De l’extérieur, cela paraît un peu fou de revenir juste pour Londres, beaucoup auraient pris leur année sabbatique et re-ouvert les livres pour 2014. Qu’est-ce qui t’a motivé à ne pas faire ce choix?

Oui et non. Je suis là pour m’éclater cette année, on ne m’a pas obligé à y aller! Je suis vraiment content de refaire une course de ce niveau et de pouvoir me tirer la bourre avec les mecs. Je n’ai rien à perdre, rien qu’à gagner. Je suis un gars qui aime les challenges et celui-là est beau! Peu importe le résultat, on fera tous la fête ensemble après la course !

L’année prochaine, c’est une autre histoire, tout recommence.

Peux-tu nous parler de tes prochaines étapes? On imagine que tu vas vouloir faire des changements et essayer des trucs nouveaux. Non?

D’ici là j’ai prévu de faire quelques triathlons, à Nice, au Mexique et à l’Ile Maurice, mais surtout je vais participer à la Réunion mi-octobre à la Mascareigne, course longue de 70km en marge de la Diagonale des fous. Je vais pouvoir faire le point avec moi même et tester mes nouvelles limites.

Ensuite viendra le temps de se pencher sur 2014-2016,  des changements interviendront, mais chaque chose en son temps.

Est-ce que tu voudrais ajouter quelque chose? 

Pas mieux !

 

 

 

 

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