Dossier étirements 2e partie – Trimes interroge la physiothérapeute Marie-Claude St-Amour

Les étirements, bons ou mauvais? Par exemple en prévention et traitement des blessures de course à pieds, vous les visitez régulièrement, religieusement, passionnément? Sont-ils nécessaires, souhaitables, inutiles, dommageables peut-être?

La question a été débattue au sein de notre club pendant l’été 2013. Comme nous tentons au mieux de nous inspirer de la science pour définir nos pratiques sportives, j’ai entrepris une courte revue de la littérature existante. Le fruit de cette courte recherche est confiné dans un article centralisant ces références, et agissant comme première partie du présent dossier « étirements ». La perspective qui m’intéresse se limite à la prévention et au traitement des blessures liées à la course à pieds. L’article peut être consulté ici Dossier étirements 1ere partie: Revue partielle de la littérature existante

En 2e partie, nous avons la chance d’interviewer une physiothérapeute émérite que j’aurais envie de vous présenter sans plus tarder.

1. Marie-Claude Saint-Amour merci d’accepter notre entrevue. Tu es une figure bien connue du domaine de la physiothérapie au Québec. Notre équipe de triathlon à L’Université de Montréal réfère systématiquement à tes services, surtout pour les cas plus compliqués.

Marie-Claude, peut-être pourrions-nous débuter par un bref résumé de ton parcours académique et professionnel.

Je suis physiothérapeute, j’ai gradué de l’Université de Montréal en l’an 2000. Par la suite je me suis spécialisée en physiothérapie du sport. J’ai ainsi gravi les échelons jusqu’en 2006, année où j’ai obtenu mon diplôme permettant alors d’utiliser le titre de physiotérapeute du sport. La même année j’ai obtenu mon fellow en thérapie manuelle, soit le plus haut niveau qu’on puisse atteindre au Canada.

Puis à travers tout ça, j’ai développé une grande expertise sur le contrôle musculaire, c’est à dire comment améliorer le contrôle sur le recrutement et le relâchement des petits muscles souvent oubliés, le tout dans le but de traiter et prévenir les blessures sportives.

J’ai travaillé longtemps à l’Université de Montréal, à la clinique du sport et je suis basée maintenant depuis 3 ans à la clinique Physioactif à Laval.J’enseigne également à l’UdM en physiothérapie, ainsi qu’auprès des post gradués en thérapie manuelle.

2. Très impressionnant. Avec quelle clientèle interagis-tu principalement?

Je travaille avec une clientèle de tous âges et de tous les niveaux. Les triathlètes, coureurs, cyclistes comptent pour un grand pourcentage de ma clientèle. Étant plongeuse, je travaille de plus en plus avec les plongeurs et plongeuses de niveau provincial et national. Je traite également monsieur madame tout le monde, sans égard au sport pratiqué, tennis, dans aérobie, peu importe.

3. Marie-Claude, en 2013, quelle place réserves-tu aux étirements, donc au stretching comme méthode de traitement et surtout de prévention des blessures sportives les plus fréquentes, plus spécifiquement aux blessures de course à pieds?

Je dirais que c’est une très faible proportion de ce qui est indiqué en ce moment comme traitement. Une des choses dont on se rend compte c’est qu’à moins d’avoir une blessure au niveau du tissu musculaire, donc un claquage ou une contusion, dans ces cas là ça peut être indiqué d’étirer. On ne le fera pas en phase de douleur aiguë, mais à un certain moment dans le cycle de guérison, soit en sub aiguë ou en chronique ça devient pertinent d’étirer. Mais s’il n’y a pas de lésion myotendineuse, la pertinence des étirements devient très questionable.

Mon approche est plutôt à l’effet que si un muscle semble manquer de souplesse, souvent se sera plutôt provoqué par une augmentation du tonus musculaire. Le muscle est donc sous tension musculaire. Et donc dans ces cas, il faut s’interroger sur la cause de cette tension musculaire, plutôt que de simplement présumer que le muscle est simplement trop court. Donc ma démarche est d’aller plus loin que la simple constatation qu’un muscle est trop court, en allant chercher la cause de ce « pseudo raccourcissement ». Souvent la réponse est un débalancement musculaire, un manque de contrôle moteur, une déficience de recrutement de certains petits muscles stabilisateurs, le tout faisant en sorte qu’un muscle situé plus haut ou plus bas aura tendance à être surchargé.

4. Donc, si je comprends bien, il arrive régulièrement que certains muscles en problèmes soient effectivement en apparence plus courts ou plus tendus, mais selon toi cela pourrait être en raison d’un manque de relâchement, et non pas à cause d’un manque d’élasticité intrinsèque à ce muscle.

Oui c’est bien ça. Donc le muscle est en état de tension constante à l’effort, et non pas nécessairement trop court. L’étirement de ce muscle peut-être agréable quand même, et peut aider temporairement. Mais avec les années d’expériences, j’en suis venue à chercher plus loin la cause au lieu de traiter bêtement en se disant « Ooops, celui là semble plus court, on va l’étirer. L’effet à long terme est plus durable si on identifie bien la cause de ces débalancements.

5. Ce qui attire mon attention dans ta réponse précédente, c’est que tu ne semble pas craindre des effets adverses d’un étirement dans le cas présent, mais tu crois qu’on peut aller beaucoup plus loin en faisait plus qu’étirer le muscle.

Oui entre autres. Mais l’autre chose c’est que les étirements faits par les gens, on ne peut pas savoir si c’est bien fait. Il existe diverses façon de s’étirer, statique, dynamique. Et ce qu’il faut savoir c’est qu’un étirement statique ne représente pas toujours la capacité dynamique du muscle à s’étirer. Ce n’est pas parce que je parviens à étirer mon ischiojambier à 45% vers l’arrière qu’en situation spécifique de mouvement dynamique, que ce soit la course, le saut ou autre, que je vais parvenir à ce même niveau d’étirements.

En plus, les gens ont tendance à s’étirer en statique, un petit peu trop? Soit jusqu’au seuil de douleur? Et dans ce cas on augmente le risque de créer des traumatismes qui pourraient devenir des blessures avec le temps. Donc la façon dont les gens s’étirent influence grandement le résultat.

6. Une autre chose qui attire mon attention dans ta réponse, c’est que tu semble suggérer qu’un étirement, surtout lorsqu’on étire trop, ne serait pas perçu par le muscle comme un geste de détente. Ça ne constitue pas une façon de récupérer. Au contraire, on peut plutôt comparer un étirement à un geste qui stress le muscle. Est-ce bien ce que tu as voulu dire?

Potentiellement oui. Ce qui est recommandé en général pour les étirements statiques c’est l’atteinte d’une sensation très confortable d’étirement, et non pas de sentir que tout va arracher.

7. Plusieurs voix se sont élevées pour mettre l’athlète en garde contre les effets adverses du stretching, qu’on pense à Magnusson et col, weighmann et clef au début des années 2000. Quels sont les grandes lignes de l’argumentaire de ces spécialistes qui ont inspiré ta position actuelle?

Il y a Yan Frier de Montréal qui a également publié sur le sujet. En fait ce qu’on remarque c’est que chez les populations qui font des étirements pré-entraînement, on note des effets indésirables tant au niveau de la puissance, de la vitesse de contraction, que le la force endurance. Au niveau puissance, une des études rapporte une perte de 4%, donc c’est significatif. D’autres papiers ont soulignés une augmentation potentielle du risque de blessures, et non le contraire. Surtout que plusieurs sports à l’étude ne requièrent pas nécessairement d’amplitudes extrêmes.

Dans certains sports où les exigences en flexibilité sont énormes, qu’on pense à la gymnastique, au plongeon, ou même le fameux quart arrière au football qui doit laisser son épaule reculer en arrière de façon extrême pour pouvoir réaliser son lancer, là il est indiqué de s’adonner à des étirements statiques avant la séance d’entraînement. Mais pour des sports à plus faibles amplitude, comme la course à pieds, on parle de course de fond ici, le vélo, la natation, on ne voit pas d’avantages à faire les étirements statiques préalables à la séance d’entraînement.

8. Selon 2 chercheurs australiens, key et blasevich, se sont concentrés sur l’étude de la littérature existante pour faire la lumière sur l’impact des étirements statiques pré-entraînement sur la capacité du muscle à ne pas perdre de force ou de puissance. Selon eux, la façon de s’étirer, notamment au niveau de la durée et de l’intensité, serait d’avantage en cause, et non les étirements eux-même.

Est-ce également ta conclusion?

En général le chiffre magique qu’on a toujours recommandé c’est 20-30sec par muscle, 3 séries. Mais il semble que pris individuellement, chaque groupe musculaire aurait une durée idéale qui varie. Et même 2 personnes du même âge pourrait avoir des besoins qui varient en terme de durée. Donc en général on recommande, si on souhaite absolument s’étirer, 2 à 3 séries de 15-30 secondes. La sensation confortable d’étirement est normalement atteinte en 10-12 secondes environ.

9. À ce moment là, si une telle séance très modérée doit prendre place, quel est le moment le plus propice dans une séance d’entraînement pour s’étirer?
Bien encore là, ce dont on parle de plus en plus c’est d’avantage de faire en intro de séance des mouvement dynamiques. Car en réalité dans la plupart des sports, les gestes sont dynamiques. Les étirements peuvent donc être plus utiles lorsque plus spécifique.

En phase de récupération, suivant l’entraînement. Il n’y a aucun problème à s’étirer après la séance. Il suffit de garde en tête qu’en raison de la présence accrue d’hormones telles les endorphines, il est raisonnable de croire que l’athlète ressent moins la douleur. Il risque donc, s’il n’est pas prudent, de s’infliger des micro-déchirures pendant ces séances.

10. Donc l’étirement statique en fin de séance ne serait pas perçu comme une activité de récupération. Elle ne permettrait donc pas de récupérer plus rapidement d’une séance intense. À la limite, elle pourrait ajouter du dommage, prolongeant ainsi le temps total de récupération?

Il ne semble pas y avoir d’effet bénéfiques sur la récupération, donc par exemple au niveau de la diminution des courbatures, communément appelées les Delayed Onset of Muscle Soreness (ou DOMS). L’évidence scientifique actuelle échoue constamment à démontrer cette relation.

Ce qui serait considéré comme beaucoup plus bénéfique serait de s’adonner à une activité très relaxante, comme une course très lente ou une marche rapide, ou encore rouler à vélo à basse vitesse pour une dizaine de minutes. Cela aurait pour conséquence d’améliorer l’élimination des toxines et autres déchets accumulés pendant l’entraînement

11. À propos des étirements dynamique, tu évoquais plus tôt leur supériorité en comparaison aux étirements statiques en début de séance. Irais-tu aussi loin que de mentionner que c’est une bonne chose dans un programme de course à pieds d’inclure des éducatifs de course ayant comme rôle, entre autres, d’agir comme étirements dynamiques?
Je ne crois pas que ce soit une bonne chose d’obliger des exercices dont l’amplitude est trop exagérée, ou non spécifique au sport qu’on pratique. Par contre, réaliser des petits mouvements dynamique comme les genoux haut, talons aux fesses, oui ça peut contribuer à préparer le corps, réveiller les muscles, activer le système nerveux, aiguiser la proprioception soit la perception exacte de notre corps dans l’espace, mais encore là, faits de façon intelligente et modérée.

On doit se limiter aux exigences de notre sport, sans aller au delà.

Au meilleurs de ma connaissance, il n’existe pas d’évidence sérieuse décourageant la pratique de ce genre d’étirements dynamiques. Je pense que c’est une bonne idée de préparer notre corps par l’utilisation d’étirements dynamique.

12. Mais dans le cas d’étirements dynamique, j’imagine que tu en connais un bon nombre qui seraient à proscrire. Mon point ici, c’est qu’on assiste souvent, en course à pieds, à une véritable parade d’étirements dynamiques dont certains étant plutôt farfelus. Aurais-tu des indications pouvant nous aider à éliminer des éléments non pertinents.

Il faut essayer de cibler des mouvements qui ressemblent à notre pratique sportive. Par exemple de demander à un coureur de marcher en pratiquant l’élévation du talon vers la fesse, un genoux haut, etc, ces mouvements là me semble pertinents. De là à pratiquer des gros mouvements de balanciers latéraux, ou saccadés, là il y peu y avoir exagération.

Par ailleurs, c’est aussi variable selon le type de surface sur laquelle on court. Par exemple les spécialiste de cross country, faisant souvent face à des parcours accidentés et moins stables pourraient bénéficier d’étirements dynamiques car la demande musculaire n’est pas la même.

13. Si on parlait maintenant de certains types de blessures très fréquentes et affectant principalement des bandes de tissus conjonctif telle la bandelette iliotibiale, ou le fascia plantaire, etc. En début d’entrevue, tu mentionnais que les étirements statiques n’occupent pas une grande place en traîtement/prévention des blessures. Est-ce également le cas pour ces blessures qui sont encore aujourd’hui généralement traitées par un mélange d’activités physiothérapiques incluant les étirements?

Je dirais que c’est du cas par cas. Le professionnel qui évalue la problématique doit s’interroger sur la cause du problème. De plus on doit également distinguer une douleur d’une réelle raideur. Ce n’est pas parce qu’un tissu fait mal qu’on doit obligatoirement l’étirer. Je donne souvent la comparaison suivante à mes patients: Si on se coupe la main, notre réflexe premier sera de refermer notre main afin d’éviter d’aggraver la coupure, et certainement pas de l’étirer.

Le jugement clinique du professionnel de la santé est important ici. Dans certains cas il peut y avoir une pertinence, en phase sub aiguë, à étirer le tissus, surtout lorsque il y a fibrose sur le tissus, c’est à dire qu’il a commencé un processus de cicatrisation. Lorsqu’il y a cicatrisation, parfois, il y a raideur locale. Et dans ce cas on doit étirer afin d’éviter que cette raideur ne devienne le point faible de ce tissu.

Mais s’il y a juste une douleur, on devrait plutôt s’interroger sur la cause de cette douleur, que sur l’étirement du tissus. On doit chercher plus loin.

Par exemple, une bandelette iliotibiale en problème est peut-être suffisamment flexible, mais tout de même surchargée. Dans ce cas, l’étirer d’avantage pourrait s’avérer inefficace, à moins qu’il y ait une réelle limitation de souplesse imposée par exemple par une morphologie moins flexible à ce niveau là. Mais idéalement un tel problème doit être diagnostiqué.

14. Je comprends. En fait je comprends vraiment qu’alors qu’auparavant on voyait dans les étirements une solution quasi systématique et surtout une façon de ne pas avoir à chercher plus loin, de nos jours la pratique moderne tente de chercher plus loin afin de pouvoir demeurer à l’intérieur des limites de flexibilité d’un individu.

Tout ça est une bonne nouvelle dans le fond. On peut conclure que ceux qui se sentaient jadis coupable de ne pas s’adonner à une hygiène d’étirements, peuvent dormir sur leur 2 oreilles, puisqu’une telle routine est loin d’être obligatoire, et pourrait même être déconseillée dans plusieurs contextes, surtout lorsque les étirements sont mal exécutés. C’est bien ça?
Oui absolument.

Références: Dossier étirements 1ere partie: Revue partielle de la littérature existante

2 commentaires
  1. Merci !!!
    Je suis moi-même kinésithérapeute du sport (l’équivalent en France du physiothérapeute) et ça me fait plaisir de lire quelque chose d’aussi cohérent, construit et documenté. Surtout que c’est ce que je répète à mes patients (sportifs ou non) depuis longtemps.
    Ce problème d’hypertonie musculaire est récurrent, et chez tout le monde. Le lomablgique chronique comme le sportif qui vient avec sa tendinite.
    Merci encore !

  2. Merci pour ton commentaire Jean-Charles,

    Moi je n’y suis pour rien, je ne suis que l’humble messager. En 2013, au sein de notre club un total de 35 individus ont pris part au calendrier de compétitions (assez chargé). 1 seule n’a pu compléter sa saison en raison d’une blessure chronique aux hanches. Je n’ai pas fait de décompte officiel, mais je crois que Marie-Claude a permis à au moins 7 de nos athlètes de demeurer en selle malgré leurs petit soucis… J’veux dire.. les gens couraient même « à l’aise ».

    Ce que l’entrevue ne mentionne pas, c’est que sa pratique implique une analyse détaillée de la foulée sur tapis roulant, le tout filmé et ensuite analysée avec le patient.

    Bref, merci Jean-Charles et bonne continuation avec ta pratique!