Le triathlète et le temps… Une vieille et longue histoire.
Chasseur de temps sur les courses auxquelles il participe, il est en quête perpétuelle de celui-ci à l’entraînement pour en trouver enfin un peu, dans le but de progresser.
Chronophage, notre sport l’est, c’est indéniable. Stakhanovistes de l’entrainement, nous le sommes majoritairement beaucoup, c’est une certitude…
Je ne vais pas parler des dérives bigorexiques que cela peut entrainer. Cela a déjà été fait maintes et maintes fois et après tout… Chacun fait ce qu’il veut !
Non, aujourd’hui je vais vous raconter deux histoires…
Sportifs ou simplement citoyens de haut niveau ?
Nous sommes en 1990, je ne suis pas bien vieux à l’époque. Je discute avec « Mac ».
Mac, c’est un peu mon idole à l’époque, il vient depuis deux ans passer 2 semaines à Embrun et loge chez un de mes potes en vue de faire l’Embrunman. Il est Américain, c’est une « brute » comme on dit. Il a déjà terminé 9e et 10e à Hawaii.
Le type a dans sa jeunesse fait le Tour de l’avenir avec Greg Lemond et compagnie. Aujourd’hui, après de brillantes études, il a monté sa propre boîte à Pittsburgh. Une boîte, « Martin & Martin » qui porte son nom !
Ce jour-là, nous sommes attablés sur la terrasse du bar qui jouxte le plan d’eau d’Embrun. Après une sortie de plusieurs heures dans les cols alpins, Mac ne se gêne pas pour engloutir une belle pièce du boucher avec des frites et une montagne de Ketchup… Je lui demande comment il s’entraine là-bas, aux États-Unis. La réponse est assez surprenante pour un gamin comme moi. Mac m’explique que ça se passe le plus souvent sur son lieu de travail et que son entraînement favori, c’est pendant la pause déjeuner où il « s’amuse » à monter le plus de fois possible par les escaliers l’immeuble dans lequel il travaille pour redescendre en ascenseur… Il me dit qu’il n’y a rien de mieux pour travailler le coeur et la puissance. À côté de cela, il roule le week-end et nage tous les matins sauf… le week-end justement 😉
Je suis face à un type, il a l’air heureux… C’est à l’époque, l’un des meilleurs triathlètes de la planète sur longue distance et il est en toute simplicité fondateur et patron d’une grosse entreprise dans une mégalopole Américaine. Mac terminera cette année-là 2e de l’Embrunman après bien des péripéties (une combinaison qui « explose » au niveau du zip avant la natation et donc 4 bornes dans l’eau d’Embrun en maillot de bain à 6 heures du mat… et une crevaison en haut de Chalvet alors qu’il était en tête… « Mac » évoquera tout cela après la course dans un grand éclat de rire…)
Ma deuxième histoire se déroule au cœur de la belle Bretagne. Tout prêt de Quiberon, il y a un mois et demi…
Ce matin là, au petit déjeuner d’un charmant hôtel de la presqu’île, je discute avec Gordon Benson. Gordon, c’est un peu comme Mac : une brute… Un animal même je dirais : presque 1m90, une montagne de puissance qui va permettre quelques heures plus tard à mon petit club de se maintenir in extrémis parmi l’élite. Tom Bishop n’est pas loin, lui aussi c’est une brute, mais en format de poche avec son mètre 70. Tom à plus de chance que Gordon parce qu’il est « graduate », c’est-à-dire qu’il a obtenu brillamment son master d’histoire… Gordon, lui, doit encore trimer pour avoir le sien, c’est normal, il est 4 ans plus jeune que Tom. Il m’explique comment il arrive à concilier sport de haut niveau et études, je suis impressionné… Il me dit ensuite qu’il va couper un mois complet fin septembre puis se remettre sérieusement à l’entraînement, car il veut être choisi pour être le « domestique » des frères Brownlee à Rio… Rien que ça !
Du temps, plus qu’il n’en faut…
Le temps, fractionné, découpé, utilisé avec intelligence sans oublier l’essentiel, la vraie vie que l’on a tous en dehors de cette passion qui nous anime… À presque 25 ans d’écart, voilà ce qui rassemble ces trois grands champions.
Ils arrivent à faire ce que moi même je ne parviens pas toujours à combiner malgré mon métier de « privilégié » (ou en tout cas, c’est ce qu’il se dit sur les forums en ce moment 😉
Le triathlète manque-t-il de temps ? Pas si sûr en définitive. En fait, il en a même trop… C’est ce qui le met dans le mirage de la dépense. Ce temps, il le consume, il devient manque et le triathlète en réclame toujours davantage, pour mieux le brûler encore et encore.
Le triathlon est un sport où la peur du vide obsède. S’entraîner, toujours plus. Remplir les cases, toutes les cases de son cahier d’entraînement. Organiser sa vie tout entière autour de l’entraînement. Les temps libres eux-mêmes se retrouvant voués à mieux optimiser les séances futures. Aveuglé par la sacro-sainte loi selon laquelle, plus on passe d’heures à s’entraîner, plus on a de chance de devenir performant. Une règle qui broie, et qui mâche les personnes comme les entourages. Une règle qui mène à la dépendance dans le pire des cas et à la simple bêtise pour bon nombre d’entre nous.
Et ce temps, il devient un alibi lorsque nos performances ne sont pas à la hauteur de nos espérances. Il sert aussi à accuser les autres d’en avoir plus. Quelle chance ils ont ceux-là…
Éloge de la lenteur
Combien de triathlètes se rendent compte qu’avec une pratique raisonnée de quelques heures par semaine, il est possible de s’accomplir pour peu que l’on soit un minimum intelligent et exigent sur le contenu de nos séances.
Ralentir, surtout lorsque le temps presse.
Ralentir et prendre le temps de comprendre, allez vers le souci du détail, l’économie, l’efficience, le placement et le relâchement. Et écouter pour connaître… mieux…
Lorsque ralentir… permet d’aller plus vite !
La technique maudite.
Peu de gens s’astreignent à cela. C’est tellement coûteux en vérité. La réelle difficulté n’est pas celle où on s’abrutit des heures sans percevoir quoi que ce soit de ce que notre corps produit.
Le vrai défi du sportif à l’entraînement, c’est de construire sa motricité dans la compréhension écologique de son activité.
Travailler la technique… Vraiment !
Un peu comme un violoniste en somme, à qui il ne viendrait jamais à l’idée d’enchaîner sans raison ses gammes sans prêter une oreille sensible à ce qu’il exécute.
On achève bien les chevaux
Le fait que le triathlon soit un sport à forte dominante énergétique nous conforte dans cette voie qui privilégie le volume au détriment de la qualité. Plus qu’une façon de fonctionner, c’est presque une philosophie chez beaucoup d’entre nous. Et face à cette philosophie, toute personne qui parvient à être brillant sans passer des heures et des heures à s’entraîner devient suspecte.
Il est amusant de constater à quel point certains sportifs de haut niveau dans d’autres disciplines sont critiqués, raillés ou vilipendés au motif qu’ils « ne font rien », que leur sport est facile et ne demande aucune qualité. C’est vrai, comment quelqu’un qui passe ses journées à jouer à la PlayStation, dormir et à vivre avec un casque de walkman vissé sur la tête peut il être vénéré comme un demi-dieu alors que nous autres, nous suons sang et eau toute la journée ?
Le football, 1er visé parce que surmédiatisé en fait les frais plus qu’à son tour… Mais, nous avons tous joué au foot un jour non ? Ces gens-là sont la crème de la crème, tellement plus brillants dans leur art que 99% d’entre nous dans le nôtre…
Comme s’il était plus facile d’atteindre l’excellence dans certaines disciplines.
Comme si les sacrifices, le travail, l’intelligence et le talent ne pouvaient exister qu’au travers de l’image de la souffrance et de l’ascétisme jusqu’au-boutiste.
Le talent…
Car oui, le talent, le vrai, celui qui transcende l’activité d’un être qu’il soit sportif, musicien, chirurgien ou artiste. Cette faculté impalpable a sublimé les choses pour les rendre esthétiques. Cette chose indéfinissable et merveilleuse que peu de personnes parviennent à toucher du doigt. Et bien ce talent, c’est du travail, certes. Mais c’est aussi et surtout de l‘écoute, de la réflexion et de l’intelligence face aux autres et à sa propre activité.
Tout le monde a le potentiel pour devenir talentueux… mais « ce n’est pas donné à tout le monde… »
Cette année, j’ai vu un homme talentueux gagner la grande finale de la série WCS à Edmonton…
Ce n’est pas parce qu’il était plus fort ce jour-là qu’Alistair Brownlee a gagné la course. Ce jour-là, il y avait probablement 3 ou 4 triathlètes au minimum plus en forme que lui, mais c’est lui qui a gagné et c’est pour ça que sa victoire est merveilleuse. Cette victoire, il ne pouvait la remporter que de la façon avec laquelle il a réussi à forcer le destin de la course, avec ses qualités certes… Avec son courage, sa détermination et son audace surtout… Car si après la course, il est apparu à tous que dans n’importe quel autre scénario, le champion britannique aurait terminé au minimum derrière les deux athlètes espagnols, seul Alistair avait perçu avant le départ que c’est ainsi qu’il avait peut être une chance.
Alistair c’est le Zidane du triathlon…