Expliquer l’inexplicable > Comprendre la dynamique des groupes à vélo

Expliquer l’inexplicable. Ces groupes qui collaborent ou pas.
Chaque course se résume à la même histoire : qui fera le pack durant le vélo?

Plus que jamais, un athlète a un cahier des charges de plus en plus contraignant afin d’obtenir un bon résultat. Il doit être en mesure de sortir le plus près possible de la tête de l’eau. Rouler de façon à creuser l’écart avec le groupe de tête ou réussir à revenir de l’arrière s’il est dans le pack des poursuivants. Et surtout, il doit finir par courir derrière sans être trop entamé par les deux disciplines précédentes.

Même s’il doit fournir un effort individuel, sa destinée est la conséquence d’un effort commun. C’est pourquoi, le résultat d’une course n’exprime pas réellement ses forces dans les 3 sports. Une question de conjoncture.

En cyclisme, les dynamiques sont devenues très prévisibles en fonction d’un profil d’une course (et des oreillettes) : lorsqu’une équipe est dédiée à son sprinter, elle reprend toujours du terrain rapidement. Le nombre finit toujours par gagner. La volonté d’un groupe est toujours claire et personne n’attend d’obtenir le consensus général du peloton pour agir.

En triathlon, les problématiques sont très différentes. Les dynamiques sont de plus en plus imprévisibles. Même s’il y aura toujours un groupe qui se formera à la sortie de l’eau, son sort est redevenu incertain et est dépendant de nombreux facteurs comme la technicité d’un parcours.

Le plus étonnant est que même s’il y a des éléments forts dans deux groupes différents, comment expliquer que les écarts peuvent être comblés ou s’agrandir? La différence ne se fait donc pas sur le talent mais sur la collaboration entre les individus.

L’effet Brownlee.

L’une des époques marquantes dans le triathlon moderne fut l’après Jeux Olympiques 2008 – Bejing. On a vu les deux frères Brownlee s’imposer et prendre leur destinée entre leurs mains. La recette est très simple : s’assurer de faire la sélection dans les 3 sports. Il n’y plus de période d’attente comme par le passé. Les  deux anglais ont compris qu’en imposant leur rythme, ils resteraient maîtres de leurs destinées.

Et pourtant, comment deux athlètes plus quelques autres collaborant peuvent tenir à distance des groupes plus nombreux. On a même vu cette année les deux frangins partir seuls et agrandir leur avance (ITU Stockholm).

Est-ce qu’il existe une logique derrière tout cela ?
Il existe une course en France, le triathlon de La Baule, qui est une confrontation entre les deux sexes. Les femmes partent en avance et les hommes tentent de les rattraper. Cela force donc tous les hommes à rouler ensemble. Il est alors impossible de baser sa stratégie sur l’économie. Tout le monde doit collaborer. En observant leurs efforts on se rend rapidement compte que certains n’ont pas l’expérience et la technique pour prendre des bons relais et surtout ils n’ont pas toujours le niveau pour appuyer un bon relais. Ce n’est donc pas juste qu’une question de bonne volonté.

Les hommes n’ont pas été en mesure de revenir sur les femmes parce les meilleurs avaient des exigences sur les autres athlètes. En demandant aux plus faibles à vélo de travailler, ils se ralentissaient.

Dans l’action, les athlètes ne sont pas en mesure d’ajuster leurs attentes en fonction des autres.

Les Brownlees n’attendent pas que tout le monde travaille. Ils essayent d’obtenir une synergie où sinon, ils s’en vont seuls. Ils refusent de laisser leur destin dans les mains des autres…

Un athlète régulier en ITU voudra ne pas puiser dans sa réserve en vélo et juste suivre la danse afin d’être en mesure de courir derrière. Contrairement aux meilleurs qui tentent d’avoir un niveau pour faire la différence, la distinction entre ceux qui ont régulièrement du succès dans le circuit est dans la capacité à courir un 10km à son meilleur potentiel après avoir effectué le vélo sans être obsédé par l’idée de vider la réserve.

La fausse croyance.

En série mondiale, on croit souvent qu’un athlète qui est en mesure de rester dans un peloton à forcement un niveau similaire. Pourtant rouler à l’avant n’est pas donné à tout le monde.

La peur de se faire avoir. 


Le triathlon moderne est devenu très stratégique. L’élite se pose beaucoup de questions et sa plus grosse crainte est de travailler pour les autres. Les athlètes n’ont pas toujours une grande connaissance de leurs adversaires. Ils peuvent aussi avoir l’impression erronée des points forts d’un athlète : par exemple, un grimpeur n’est pas forcément un bon rouleur; certains sont à l’aise sur des parcours sans changement de rythme, d’autres moins.

Cette méconnaissance explique pourquoi les récentes courses chez les juniors ou U23 ont toutes vu un retour de l’arrière. La peur de prendre un risque qui donnerait la victoire à un autre. Même phénomène dans les courses de coupe du monde. Avec des athlètes qui ont des profils moins connus, presque toutes les courses en 2014 se sont soldées par des entrées massives en T2.

Dans cette situation, on peut expliquer la peur de la contre-performance. Avec l’importance du classement final, on voit de plus en plus d’athlètes s’assurer un classement et non prendre tous les risques pour gagner.

Une question de culture?

Un athlète étant généralement le produit d’un système fédéral, par leur ratio entre les 3 sports, elles ont inculqué indirectement une façon de courir. Russes, Espagnols, Néo-Zéalandais à quelques exceptions près, ont leurs propres façons de courir en fonction de l’importance donnée au sport à deux roues.

Le remède.

Les rares fois où les poursuivants sont revenus, c’est lorsque Tom Davison roulait sans rien demander. Si un homme est capable de revenir à lui seul sur les échappés, cela démontre bien l’importance d’une entente claire.

En fait, il existerait des opportunités afin de voir des athlètes très forts à vélo remplir des mandats. La raison qui empêche cette tactique est le fait qu’un athlète qui prendra le départ se doit de marquer assez de points à chaque course pour rester dans la série mondiale.

Et l’avenir ?


On espère qu’il y aura une certaine prise de conscience chez les athlètes à cause de cette peur de travailler pour l’autre. Les « domestiques » en triathlon sont en train de devenir un concept valable mais les exigences pour développer ce type de tactique n’est pas véritablement viable. On a récemment vu Gwen Jorgensen obtenir l’aide de Sarah Haskins lors de la Grande Finale. La spécialiste du triathlon sans drafting a tout donné à vélo et n’a même pas couru son 10km. Réduisant l’écart sur le groupe de tête, Jorgensen a pu obtenir la victoire qui l’aurait échappée sans l’aide de Sarah Haskins. Cela prouve que comme dans le cyclisme, lorsqu’une direction est claire et qu’il n’y a pas de coopération possible avec d’autres, les athlètes reprennent le contrôle de leur destinée.

 

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