Denis Chevrot se fait trimer > L’ascension fulgurante en Ironman

Rares sont ceux qui se questionnent par où sont passés les pros en Ironman. Même si la majorité des athlètes ont un passé en ITU, il existe toujours certaines exceptions avec des parcours fulgurants. Denis est l’une d’elles. Cet ancien nageur compétitif commencera le triathlon en 2011. 3 ans plus tard, il gagnera son premier ironman en pro… Denis est un grand ami, on a finalement pris le temps pour lui poser quelques questions.

Quand tu as arrêté ta longue histoire d’amour avec les carrés bleus, pensais-tu que  cela mettait fin à ta recherche sportive de l’excellence?
On ne peut pas dire que ce fut du passé ou du futur, puisque j’avais bien compris que je n’attendrais jamais l’excellence en natation. Je n’étais pas mauvais, mais je n’étais pas bon non plus.

Et finalement, tu découvres l’ironman. Quels sont les éléments déclencheurs?
La première fois que j’ai entendu parler d’un Ironman c’est lorsque Stade 2 a fait un reportage sur Laurent Jalabert à Kona en 2007. L’année suivant, en octobre 2008, je passais le BEESAN au CREPS de Bordeaux et dans ma promotion il y avait la chérie de Ben Sanson. J’ai donc suivi la course (enfin le début) et je me suis dit qu’un jour je participerai à Kona. En août 2010, je me suis inscrit pour participer à l’Ironman de Regensburg, l’année d’après, dans le but de me qualifier pour Hawaii. Début novembre 2010, je n’avais toujours pas commencé la préparation. Je ne savais pas quoi faire comme entrainement, j’ai demandé à une amie qui était son coach, puisqu’elle en était contente… C’était Christophe Bastie!

 

Mais dans ce projet, quel était ton passé en matière de course à pied et de vélo?
Il était pratiquement vierge. J’avais fait deux sorties à vélo avec le club de Compiègne Triathlon. La première fois, j’ai fait une hypoglycémie vers le 60e kilomètre, on a dû me pousser pour que je puisse rentrer tellement j’étais sec. La deuxième fois, j’ai tenu jusqu’au 80e 🙂

Lors des débuts de mes saisons natation, on reprenait en alternant natation, entrainements de PPG et courses à pied. Je devais faire une dizaine de footing tous les ans au mois de septembre. À part ça, je n’avais jamais couru.

On pourrait dire que tu es un naturel, mais selon toi, quels sont les éléments qui expliquent ton succès? Est-ce les longues heures de bassin qui t’ont permis de développer ton moteur aérobique?
C’est certain que d’avoir nagé de 7 à 20 ans m’a permis de développer des qualités d’endurance. C’est l’un des facteurs qui me permet d’avoir un bon niveau. La qualité des entrainements qui me sont proposés en est un autre.

Tu fais un ironman dès ta première saison en 2011. À l’époque, on devait te prendre pour un fou non (les gens sont généralement très forts pour juger ceux qui font un ironman dès leur première saison)? Et pourtant tu claques déjà une 24e place et une qualificartion pour Kona…
Oui, on m’a pris pour un fou, certains athlètes de mon club étaient carrément agressifs, ils n’attendaient qu’une seule chose, que je passe à côté de ma course. D’un côté j’arrivais sans aucune expérience en annonçant vouloir la qualification, avec le recul je peux comprendre que cela en ait énervé quelques-uns. Lors de cette épreuve, j’ai gagné mon groupe d’âge, mais j’ai refusé le slot. Le prendre n’aurait pas été très raisonnable, Hawaii était huit semaines après Regensburg.

Capture d’écran 2015-02-17 à 09.07.31Et tu passes pro dès ton dieuxème ironman. Alors que tu aurais pu tenter de gagner ton groupe d’âge à Kona… J’imagine que tu es très critique face aux AGs qui veulent se voir traiter comme des pros et dont certains obtiennent plus de support… Parce que tu as fait le sacrifice et que tu seras jugé face à une concurrence nettement plus dure… Injustice?
Je voulais gagner mon groupe d’âge à Kona, je voulais aussi battre le record qui datait de 1994 dans cette catégorie (18-24, je ne sais pas s’il a été battu depuis). Je devais participer à l’Ironman de Frankfurt, mais une blessure a contrecarré mes plans. J’ai voulu me rabattre sur l’Ironman de Kalmar en août, mais je n’ai pas été rétabli dans les temps. Christophe allait en Floride en fin de saison, je l’ai suivi et j’en ai profité pour me lancer en « PRO ».

Entre vouloir être traité comme un pro et l’être, il y a un monde, je pense. Et puis, c’est quoi  être traité comme un pro en triathlon?
Je suis plus critique envers certains GA qui trichent en annonçant participer à des championnats du Monde ou d’Europe pour obtenir des partenaires (je fais référence aux courses ITU). Ils oublient juste de dire qu’ils n’ont qu’à s’inscrire pour pouvoir le faire.

Je n’ai pas l’impression d’avoir fait de sacrifice, pour moi la compétition c’est lutter contre les meilleurs. Je ne me sens pas victime d’injustice, parce qu’à mes yeux seul le résultat au scratch compte.

Comment décrirais-tu ton intérêt pour la compétitivité? Vu tes premiers résultats, tu ne voulais juste pas bien faire…

Je n’aime pas perdre!

Vouloir « se battre » contre les meilleurs ne suffit pas pour faire de bons résultats, les résultats que j’ai pu avoir n’en sont pas la conséquence.

Comme tu le disais, dès le début, Christophe Bastie sera ton coach. Il entraine aussi Jeremy Jurkiewicz. Est-ce Christophe qui t’a fait prendre conscience rapidement de ton potentiel?À
Cela peut paraitre présomptueux, mais j’ai toujours pensé que je pouvais être « pas mauvais » en triathlon. Je n’imaginais pas atteindre ce niveau non plus.

Christophe a cru en moi dès le départ, puisqu’il a accepté de m’entrainer, mais je ne pense pas qu’il me voyait réaliser les courses que j’ai pu faire.

Tu parles de Christophe comme le commandant et la tête pensante, te qualifies-tu comme un athlète difficile à gérer?
Il faudrait lui poser cette question. Quand il me dit quelque chose, je le fais… Même si je râle un peu de temps en temps. Il a l’expérience en tant qu’athlète et en tant que coach.

Est-ce qu’il a une vision/plan à long terme sur toi, planification progressive…
Bien sûr qu’il y a une évolution progressive, on peut dire qu’elle a commencé dès la première saison en 2011.

Les charges d’entraînement et notamment les kilomètres en vélo et en course à pied augmentent. Les braquets en vélo, les allures à pied (malgré que je reste sur ma faim avec l’enchainement des blessures qu’il faut gérer. ), l’adaptation de la technique aux exigences de l’lronman, le comportement par rapport aux besoins de la pratique du haut niveau ont évolué.

Le fil conducteur est de tout le temps progresser et donc de voir jusqu’où cela nous mène. Bien que le but soit de performer sur les  »grosses » épreuves en terme de place, l’objectif principal est de rester centré sur moi et sur ma progression.

Ton développement reste très rapide, tu fais ton premier top 5 fin de 2012 en Floride. Cela sera Ironman Arizona fin 2013 qui te lancera dans la course pour Kona. Malheuresmenet ta saison se jouera en quelque sorte sur une attache rapide qui sautera toute seule… Pourtant contrairement aux autres athlètes, tu ne t’es pas obstiné à chercher la qualification à tout prix refusant d’aller à Tremblant… Peux-tu nous expliquer les raisons. 

Ma saison ne s’est pas jouée avec l’attache rapide. Même en terminant premier de cette course (et cela était loin d’être certain) je n’aurais pas eu le total de points pour être qualifié. J’ai plus l’impression d’avoir perdu la qualif lors de mon DNF à Frankfurt.

L’ironman de mont Tremblant était trop proche de Kona, je ne voulais pas arriver fatigué. De plus, je venais de faire une préparation pour l’Ironman Australie (début mai), une autre pour Frankfurt (début juillet) et une autre pour Zurich (fin juillet), mon corps avait besoin de repos. Il aurait certainement lâché avant Tremblant.

Est-ce que cela t’a donné un gout amer au KPR?
Non, c’est le jeu et on connait tous les règles !

Avec ta fin de saison de 2014 (abandons et blessures). As-tu eu l’impression d’avoir touché la limite de ton corps?
Non, parce que le DNF à Frankfurt et le DNS à Zurich ne sont pas dus à des blessures, mais à des « petits pépins » physiques. J’apprends à connaître mon corps.

Capture d’écran 2015-02-17 à 09.08.54Tu feras finalement le voyage en Australie, première étape est un 70.3 (championnat Australien) assez compétitif. Tu prendras la 7e place. Est-ce que cela t a quand même mis en confiance? Acceptes tu le fait d’être un spécialiste juste d’ironman?

Le gros objectif était vraiment l’Ironman de Busselton, alors j’étais content du résultat sur l’half de Mandurah. C’est le fait de ne sentir aucune douleur au genou qui m’a mis en confiance plutôt que le résultat. La vérité sur un 70.3 n’est pas la même sur un IM et comme mes principaux résultats ont eu lieu sur Ironman, alors oui j’accepte d’être assimilé comme un spécialiste de cette épreuve. J’ai plus de mal à performer sur 70.3, même si ça commence à venir.

Et tu gagneras presque par surprise (pas de nous) Ironman Busselton. As-tu eu l’impression qu’on t’avait négligé dans cette course?
C’est marrant, beaucoup de personnes m’ont dit la même chose après la course.

Non je n’ai pas eu cette impression. Il n’y a rien qui faisait de moi un favori. C’est bien d’arriver « inconnu » sur une épreuve, les autres athlètes ne se méfient pas.

Ce qui nous a toujours fascinés chez trimes, c’est ta faculté à sortir des marathons assez solides. Comment expliques-tu tes succès? Traites-tu la douleur différemment?
Non, non, le marathon est dur, comme pour tout le monde ! Mais il y a bien sûr quelques explications, on cherche à ce que j’ai une technique parfaitement adaptée au marathon de l’Ironman, on mémorise l’allure cible, etc.

Mais comme pour toute pratique c’est facile quand on est en phase d’évolution et que l’on progresse à chaque sortie. Il sera intéressant de voir mes réactions et mes attitudes dans la difficulté et quand mes performances stagneront.

À Busselton, la grande surprise est ton vélo. As-tu l’impression d’avoir passé un cap?
Les progrès se font en effet ressentir à l’entrainement. Si la performance en vélo est la meilleure réalisée jusque là, il y a encore peu de référence. Il faut aussi relativiser, par rapport au parcours, qui est très rapide, et face à la concurrence. Un Ubberbiker m’aurait mis 20 minutes et tu ne me poserais pas cette question!

On imagine que Jeremy a une part importante de ton succès. Tu sembles lui dévouer beaucoup de respect.
J’ai demandé à Jérémy ce qu’il pensait de cette question, et nous ne sommes pas d’accord. Il pense qu’il n’a rien à voir avec, je suis certain du contraire! Oui, j’ai beaucoup de respect pour lui, c’est un modèle à suivre !

On ne se le cachera pas, même si tu as eu du succès a eu des résultats prometteurs avant, tes sponsors étaient limités, as tu l’impression que tout a changé depuis?
Ces trois dernières années j’ai fait un gros résultat sur les deux derniers mois de l’année civile. Dans 95% des cas, les budgets sont bouclés, ça n’aide pas. Deux mois après Busselton, même si j’ai eu la chance de signer avec LOOK, je n’ai pas vraiment l’impression que tout ait changé depuis.

Peu de personnes ne le réalisent pas, mais Busselton était déterminante pour le reste de ta carrière, sans un bon résultat, tu pensais tout arrêter non?
Je n’aurais pas arrêté, mais il aurait fallu que je change mon mode de fonctionnement afin de pouvoir gagner ma vie.

Et maintenant, c’est quoi l’avenir?
Je vais commencer par essayer de me qualifier à Kona 2015, puis si j’arrive à atteindre ce premier objectif, j’essayerais de ne pas être ridicule là-bas.

Est-ce que tu voudrais ajouter quelque chose à part que tu me parles trop sur Facebook?
J’aimerais ajouter un mot sur le cas de dopage en longue distance… Cette personne prend les gens pour des imbéciles en se trouvant des excuses improbables. C’est regrettable qu’il refuse d’assumer ses erreurs en faisant profil bas au lieu de menacer tous ceux qui ont lu et commenté le compte rendu de l’AFLD.

Et merci pour cette interview !!!

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