La chronique de Xa’ > Histoires d’athlètes – « Attrape moi si tu peux… »

J’ai toujours été un grand fan d’Yves Cordier.

Dans le tout 1er numéro du magazine « triathlète » que j’ai eu dans les mains, il y avait un reportage sur ce mec qui intégrait l’armée pour y faire du triathlon. Cela devait être en 1986 ou 87. Cela avait marqué le gamin que j’étais. Yves a été ensuite le 1er vrai « pro » du triathlon français. Il en fallait du courage et de la conviction à cette époque pour y croire et se lancer à 100% dans une discipline aussi confidentielle. De fait, il est devenu la 1ere vraie « vedette » du triathlon hexagonal 

Mais ce n’est pas seulement pour cela que j’aimais ce type. En fait, Cordier c’était le mec très fort en natation, phénoménal en vélo et… fragile en course à pieds… Dans les courses, il était comme la souris qui ne devait pas se faire avaler par le ou les gros matous lancés à sa poursuite. Son profil de coureur ne lui laissait pas le choix, et il assumait tout cela avec fierté et bravoure. Faire la course devant, dès le 1er mètre et résister ensuite, coûte que coûte jusqu’à la délivrance… ou l’anéantissement.

11198613_10153231074299174_287431550_nJ’aime à penser qu’Yves adorait cela, ce « jeu de capture », l’excitation qui peut naître de l’indécision à sentir si la marge est suffisante, si la distance qui vous sépare de l’arrivée s’efface plus vite que l’écart avec le poursuivant qui fond sur vous.

Le triathlon, c’était un peu une immense cour de récréation où il jouait au loup. Yves devait atteindre l’arbre qui lui permettrait d’être sauvé avant de se faire toucher.

Et comme pour le « loup » de nos cours de récrée, le jeu est parfois injuste et les dès sont pipés. Lorsque les loups se lient, faussent la donne et se liguent pour rendre la tâche de l’agneau trop difficile, voire impossible. Il est alors condamné à se faire manger, cruelle et terrible sort qui rendent sa fin encore plus dramatique et belle…

Tous les « anciens » se rappellent de son plus grand fait d’armes. Nice 1992 où Cordier aura mené la course depuis le début pour se faire manger à un peu plus d’un kilomètre de l’arrivée par l’ogre Californien Mark Allen. Le crime parfait, l’une des plus belles victoires de l’américain et l’une des plus grandes passes d’armes de l’histoire de notre sport…

Une histoire belle, parce que dramatique : l’idée que l’impossible va se produire, que l’outsider va gagner, enfin, avec panache en menant de bout en bout. Toucher du doigt le rêve et se le faire voler au moment de le savourer.

Pourtant, ce n’est pas cette histoire-là que je vais vous raconter aujourd’hui. Mon histoire est anecdotique, presque insignifiante pour dire la vérité… Mais pourtant, c’est un des moments les plus marquants de ma vie de triathlète… 

C’était ma 2ème année de triathlon et j’étais descendu faire l’épreuve sprint du Grau du Roi. En ce début de saison de l’année 1992, la course avait fait le plein et le niveau était impressionnant avec pas mal de têtes d’affiche de l’époque. Une course ultra rapide avec un parcours plat comme le dos de la main. Je n’ai pas vu grand-chose de la course… J’étais très loin derrière englué dans la masse, mais les organisateurs avaient eu l’idée de génie de proposer un parcours vélo très simple : 10 km aller / retour en quasi-ligne droite…

Je devais avoir parcouru environ 5 km lorsque j’ai aperçu les motos ouvreuses. Et puis Yves est apparu, couché sur son vélo plongeant. La tête baissée, rien ne bougeait à part ses jambes qui fonctionnaient comme deux pistons parfaitement huilés. Il filait à une vitesse qui m’a semblé stratosphérique sur le coup et dégageait une impression de puissance incroyable.

Avec les années, l’emprunte de cette image, de ce mirage même tellement cela s’est passé vite, à marqué ma mémoire.

Mais à peine ai-je eu le temps de me remettre qu’une masse énorme m’a alors fait face. Elle prenait presque entièrement la largeur de la voie opposée. C’était un véritable essaim de triathlètes qui déboulait comme ça, peut être 30 ou 40 secondes seulement derrière le champion niçois. Je n’ai pas réussi à voir combien ils étaient ni, qui, exactement composait ce groupe. Dans mon souvenir, Jean Luc Capogna et Maurizio De Bennedetti se démenaient encore quelques encablures devant la bête, mais de toute évidence, leurs minutes étaient comptées… J’ai un souvenir incroyable de ce groupe, tant par la masse qu’il faisait que par le bruit des roues profilées et lenticulaires dans le vent de la Camargue.

Croyez-moi, si vous voulez, mais le reste de ma course n’a été lié qu’au suspense et à l’angoisse de savoir si Yves avait réussit l’impossible : rester devant non seulement en vélo, mais ensuite sur le 5 km à pieds pour se « sauver » et rentrer « sain et sauf ».

À vrai dire, je n’arrive plus à me rappeler si Cordier a réussi ce jour là, mais ce que je sais c’est que lorsque je l’ai recroisé en course à pied, il ne lui restait peut être plus que 500 ou 600m à parcourir et qu’il était encore en tête. Il avait à ses trousses Nick Croft (si je me souviens bien). Nick était l’un des coureurs les plus rapides du circuit et le différentiel de vitesse m’a fait penser que les carottes étaient cuites… Tout en courant, je pestais en me disant que c’est mon champion qui méritait de gagner. Que les autres avaient bénéficié des circonstances de courses, que tout cela était déloyal et fourbe.

C’est vrai, ma mémoire me fait défaut. Pourtant, je crois que ce jour-là, Yves a réussi à atteindre et à toucher l’arbre avant de se faire attraper…

Dans un dernier coup de reins, une dernière esquive, comme un pied de nez à l’injustice qui veut que les fauves finissent toujours par mettre leurs griffes sur l’antilope pour la dévorer ensuite sans aucune pitié…

Un vrai héros se doit d’avoir des failles, des imperfections. C’est ce qui renforce sa bravoure et la dramaturgie liées à ses exploits. Yves Cordier était de ceux-là. Il représente à merveille une époque révolue. Celle où il était possible de gagner même avec un point faible.

Surtout, toutes ses victoires et au-delà, toutes ses courses ne souffrent d’aucune contestation. Un cœur vaillant, une ligne de conduite indéfectible, sans concession ni calcul, Yves Cordier est l’un des 1ers grands héros de notre sport…

 

 

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