Christophe Aubonnet se fait Trimer > Concepteur de la success-story Hoka One One.

Un brevet est déposé en 2009… et la commercialisation débute en 2010. Le succès de Hoka One One est foudroyant. Derrière cette idée, on y retrouve 3 français, soit Christophe Aubonnet, Nicolas Mermoud et Jean-Luc Diard. Trimes s’est entretenu avec Christophe Aubonnet pour en savoir plus sur les véritables origines de la marque qui a fait basculer l’industrie de la chaussure.

Comment en êtes-vous venu à imaginer une chaussure avec une semelle nettement plus épaisse?

C’est d’abord venu d’un constat. Avec Nicolas et Jean Luc, les deux autres fondateurs, on a toujours été pratiquants et passionnés de sports outdoor.

On faisait le constat que le matériel avaient beaucoup évolué dans le sens du sur-dimensionnement, de l’oversize dans des disciplines comme le vélo (les cadres et les roues), le golf (les têtes de driver, les shafts), le tennis (les raquettes), les skis (plus courts et nettement plus larges), mais les chaussures de running ou hiking étaient dans les mêmes proportions depuis les années 60 ! 

Au-delà de ce constat, nous nous sommes surtout basés sur du vécu. Nous avions gouté au raid multisports ensemble dans les années 1999 – 2000 et lors d’une épreuve de 30h non-stop en octobre 2001 en Sicile, on a vécu une expérience particulière : à 3h du mat’ sur un trek et après 20h d’effort cumulé, on pointe un CP (une balise) en haut de l’Etna. On était vraiment fatigué et nous devions ensuite redescendre l’intégralité du volcan jusqu’à une aire de transition 1200m plus bas. Cette nuit là, malgré la fatigue marquée et nos jambes lourdes, on s’est surpris à dévaler les pentes du volcan comme des ‘gazelles’, à grandes enjambées et à une vitesse hallucinante. On galopait sur de la pouzzolane (débris volcaniques : équivalent de courir sur une dune de sable). Un moment de plaisir inouï. 

Cet épisode nous a marqués parce qu’on avait l’habitude de s’éclater en descente à ski, en VTT, en kayak, mais à pied, c’était une des premières fois qu’on prenait vraiment du plaisir.

D’ailleurs, on a l’impression que vous êtes une bande d’amis qui voulait avant tout créer de meilleures chaussures pour soi… est-ce que je me trompe? 

C’est tout à fait juste et c’est même essentiel : chercher à résoudre un problème rencontré personnellement peut être le meilleur moteur pour innover. C’est valable à partir du moment où on est pratiquant soi-même. En se basant sur nos frustrations ressenties en trail ou rando au long court dans le cadre de sorties sur les mêmes montagnes que celles sur lesquelles on se régale en hiver à ski, on rêvait de pouvoir éprouver du plaisir à pied à la descente sur les chemins techniques et sans prise de risque excessive.

On s’est alors nourri de solutions adoptées dans d’autres pratiques. Pour marcher ou courir sur de la neige profonde, on utilise des raquettes, pour évoluer en ski de rando on utilise des peaux de phoque… alors comme on cherchait à améliorer le confort et nos capacités en descente à pied en tout terrain, pourquoi ne pas concevoir un ‘coussin’  un peu à la mode overcraft ? 

De là est né le premier proto HOKA, voué à changer la donne en descente tout terrain…

Mais même avec vos premiers prototypes et cette idée de l’oversize, on imagine que beaucoup ont dû vous dire que cela ne marcherait pas, non?

À la réception de nos premiers prototypes, nous les avons testés sur quelques pas… puis sur quelques foulées à l’intérieur de nos locaux…et 15 minutes après nous étions dans la forêt à 500m du bureau pour un véritable test…à l’abri des regards ! 

Les protos se sont tout de suite révélés étonnants et très convaincants.

L’apparence était déroutante, perturbante même, il y avait des paramètres à régler, mais la base était là, l’ADN de la marque était posé.

Ce scénario s’est répété et est encore vrai aujourd’hui. Tout coureur qui a l’occasion de tester des Hoka pour la première fois a d’abord une certaine réticence avant même de chausser les chaussures. Puis la sensation d’être un peu dérouté sur les premières foulées avant de ressentir de vrais bénéfices au fil des kilomètres. Et plus l’expérience se poursuit, plus la facilité et le plaisir nous gagnent. Et si on fait l’expérience de rechausser nos ‘ anciennes chaussures’, on est d’autant plus bluffé par la différence et le bénéfice apporté par les Hoka.

Alors oui, ils ont été nombreux à être sceptiques et à nous dire que ça ne marcherait pas. Mais heureusement dans le même temps, d’autres étaient immédiatement convaincus. Des athlètes comme Ludovic Pommeret les ont adoptés directement en course – Ludo finira 2e du Grand Raid de la Réunion 2009 avec une HOKA de présérie découverte sur quelques foulées deux jours avant la course – et finalement ce sont ceux qui ont osé qui ont été les premiers ambassadeurs de la marque et qui ont fait des émules. Un effet boule de neige !

Et comment s’enchaine la commercialisation? 

Premiers protos en février 2009, premier salon UTMB en aout 2009 (avec des modèles préséries et des coureurs qui optent pour les Hoka la veille de leur course), les premières Hoka Mafate ont été proposées à la vente en mai 2010. Les magasins qui y ont cru dès la première saison nous sont tous restés fidèles depuis. Quelques centaines puis quelques milliers de paires…le succès s’est rapidement accéléré. D’autant plus que nous avions fait le choix de lancer la commercialisation simultanément en Europe et aux US. ET dès la deuxième saison, des distributeurs se sont engagés à nos côtés pour couvrir d’autres pays. Ainsi des Hoka étaient en vente en Australie, au Japon, en Scandivanie dès 2011.

Cinq ans plus tard, en 2016, on a dépassé les 2 millions de paires et côté chiffre d’affaires, de 1 million à plus de 100 millions de $ en 5 ans !

Christophe Aubonnet (à gauche) et Jean-Luc Diard (à droite).

Est-ce que je me trompe, mais Hoka One One ne s’est jamais prononcé comme une réponse contre le minimaliste, pourquoi?

C’est exact. La différence visible sur le volume des semelles a conduit beaucoup d’observateurs à opposer les chaussures minimalistes et les chaussures Hoka mais en réalité sur de nombreux paramètres fondamentaux.

On est dans la même réflexion et la même tendance : drop faible, déroulé naturel de l’attaque talon à la poussée finale, légèreté associée.

Et comme le minimalisme est arrivé un peu avant le début de l’aventure Hoka, il a eu le mérite de remettre à plat certaines vérités du moment. La communauté du running s’est remise en question en étant prête à accepter des principes différents et des raisonnements nouveaux. Lorsque HOKA arrive avec ses premiers modèles, la remise en question est amorcée et l’acceptation de la différence est d’autant plus facile.

Si je dis que puisque la semelle est plus haute, cela permet de créer une forme plus berçante qui facilite la transition entre réception et propulsion, est-ce que je me trompe?

XNon, c’est exact, c’est l’un des volets du brevet de concept des Hoka. Le surdimensionnement avec une matière à plus basse densité apporte confort et amorti, mais il permet aussi d’avoir modifié la géométrie et d’avoir généré un effet ‘chaise à bascule’. Ce fameux rocker est une des clefs du plaisir et de la facilité de course ressentis avec les Hoka. Il augmente la vitesse de transition et le dynamisme tout en jouant le rôle d’une assistance au déroulé. 

En ajoutant le troisième volet du brevet, le berceau (on parle aussi de siège baquet) qui enveloppe la base du pied puisque la semelle remonte tout autour du pied, on peut assurer stabilité et maintien du pied. Ce berceau a pour conséquence un gain de poids puisqu’il remplace certains renforts ou éléments de protection.

Et cela vous a permis de vous faire très rapidement une place dans le milieu du trail, ultra marathon et même triathlon. Êtes-vous étonné par la rapidité de votre succès? 

Quand on sait combien il est difficile de convaincre et de perpétrer puis de croitre sur un marché déjà mûr comme le running, on peut être surpris de cette croissance exceptionnelle. Mais quand on se remémore entre nous les bénéfices ressentis dès le premier test, et le potentiel détecté à la fois pour un usage ultra trail mais aussi tout type de coureurs y compris les joggers du dimanche et même par extension logique pour les marcheurs, on se dit que ce n’est pas un hasard. Le concept était là dès le premier proto. Il a fallu ensuite associer tout le « package » et toutes les composantes  qui permettent la croissance d’une société. En connaissant tous les obstacles et les écueils dans ce domaine, alors oui on peut dire que l’explosion de HOKA est une sacrée success-story … et un peu une surprise !

Mais même si Hoka One One reste une compagnie qui a le besoin de vendre, on ressent un certain état esprit différent où il n’y a pas réellement cette volonté de faire comme les autres, non?

C’est une appréciation qu’on peut difficilement faire nous même, mais si vous le formulez ainsi, c’est sans doute vrai. En interne, on poursuit nos développements et nos initiatives en cherchant toujours à « solutionner » des problèmes rencontrés en améliorant le bénéfice et le plaisir ressenti dans nos pratiques. Et l’on continue de le faire dans un esprit un peu différent effectivement.

En fait, cela se sent aussi avec votre team en France et votre association avec plusieurs courses. Est-ce qu’il y a un état d’esprit que vous souhaitez transmettre.

Sur le volet des teams et en particulier en France, on a cherché à accompagner les coureurs pour qu’ils gagnent en performance, pour qu’ils atteignent certains de leurs objectifs, qu’ils touchent à leurs rêves, mais on les a aussi et surtout poussé à grandir en tant qu’individu. Et en voyant les liens qu’ils ont crée entre eux et comment certains ont dépassé leurs rêves les plus fous, je crois qu’on laisse une trace… des podiums sur les trails majeurs comme le Grand Raid de la Réunion ou le doublé à l’UTMB en 2016 sont de très beaux reflets, comme peuvent l’être les grosses perfs à Embrun, Hawaï ou aux Championnats de France LD en triathlon.

Quels sont désormais vos grands projets? 

À notre échelle, continuer d’accompagner HOKA dans sa croissance en étant innovant, en restant très connecté aux hommes de terrain, en cherchant à résoudre des problèmes vécus…

À l’échelle de HOKA, continuer d’offrir de belles solutions aux coureurs qui nous font confiance et surtout mieux se faire connaître…quand on est passionné et qu’on lit Trimes, on ne réalise pas que HOKA n’a que 2% de notoriété spontanée. Dans la rue au cœur d’une grande ville, 98 personnes sur 100 ne connaissance pas HOKA…pas encore ! Comme on peut apporter du plaisir et de la performance à tous, un potentiel d’évolution et de croissance immense s’offre à nous.

Que faut-il souhaiter à Hoka One One?

De continuer de grandir intelligemment, en conservant son ADN et son âme. Que nous (les acteurs de la 1ere heure) soyons toujours là est révélateur du respect de ce que Hoka a toujours été.

Et notre souhait de fond est bien qu’on continue d’offrir de nouvelles solutions aux pratiquants afin de limiter les nuisances, augmente le plaisir et continuer de nourrir les rêves et les passions.

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