Philippe Bertrand se fait trimer (ex-entraineur de Triathlon Canada et Québec).

Simon Whitfield, Philippe Bertrand et Lauren Campbell (née Groves)
Simon Whitfield, Philippe Bertrand et Lauren Campbell (née Groves)

Au Québec, nous avons une faculté assez triste, le fait d’oublier ce qui a déjà été accompli. Des coupes du monde à Drummondville, un championnat du monde à Montreal en 99, des champions qui viennent de la belle province et pourtant on ne fait comme si de rien et on continu à toujours focaliser sur les mêmes alors qu’on a des acteurs majeurs qui restent dans l’ombre. On se demande d’ailleurs si ce manque de reconnaissance n’entraine pas des cycles.

La création de Trimes.org coïncidait à l’époque avec la nomination de Philippe Bertrand comme entraineur chef de Triathlon Canada. Vous pouvez devinez qu’il est depuis le début sur notre liste des personnalités à trimer puisqu’il est surement la personne avec la plus grande connaissance de notre sport de la province. 

Alors que certains coachs se sont lancés dans une course à l’autopromotion, Philippe Bertrand est resté discret et demeure assez méconnu dans le milieu triathlétique québécois alors que son CV est pourtant bien rempli, entraineur adjoint à triathlon Canada pendant les JOs de Bejing (medaille d’argent de Simon Whitfield) puis entraineur chef de Triathlon Canada (2009-2010). À son retour dans la province, il a brièvement occupé le poste d’entraineur chef à Triathlon Québec.

Trimes.org a souhaité en savoir plus sur lui et connaitre son opinion sur les differentes actualités. 

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Il y a un cliché perpétuel, devient on coach parce qu’on a pas réussi à être l’athlète qu’on aurait voulu être et, à quel point cela est vrai pour toi?
Cela s’applique tout-à-fait à moi bien que je formulerais cela différemment. J’étais un athlète qui pensais trop, doutait trop et cherchait parfois trop à comprendre tous les aspects de mon entraînement.  Défauts d’athlète mais qui m’ont préparé à ma carrière d’entraîneur. J’ai également eu la chance d’avoir plusieurs entraîneurs dans ma carrière d’athlète. Tous différents les uns des autres mais qui m’ont influencé à leur façon.  Certains étaient très scientifiques dans leur approche, d’autres très instinctifs alors que d’autres avaient une combinaison des 2 approches. C’est cette dernière qui me caractérise peut-être le plus en tant qu’entraîneur.

Peux tu nous parler un peu de ton cheminement (formation, étapes importantes dans ton cursus) pour être devenu l’un des tops coachs?
J’ai terminé ma carrière d’athlète autour de 2001. J’étais un piètre nageur (pour un athlète ITU) mais un cycliste correct et un bon coureur (pour l’époque et pour le volume d’entraînement). À l’époque j’entraînais déjà mon épouse qui faisait des Coupes du Monde en triathlon ainsi que quelques autres athlètes élites. J’avais moi-même compétitionné en Europe et eu peu partout en Amérique dans diverses courses ITU. Cela m’a donné une perspective empirique à la prescription de l’entraînement.

Simon Whitfield, Philippe Bertrand et Lauren Campbell (née Groves)
Simon Whitfield, Philippe Bertrand et Lauren Campbell (née Groves)

 

Au même moment un petit club de triathlon (Tri-O-Lacs) se formait dans mon coin avec une vingtaine de jeunes. Je me suis donc lancé avec passion dans cette aventure qui me permettait, pour la première fois, de travailler dans une perspective à long terme avec de jeunes athlètes. J’ai suivi, en parallèle, mes formations du PNCE et me suis impliqué dans le développement du coaching à Triathlon Canada afin de mettre sur pied le nouveau PNCE. Benoit-Hugo St-Pierre (président de la fédé) y était également et nous avons eu la chance de nous côtoyer et d’échanger énormément au niveau de l’entraînement. Petit à petit, mes athlètes se sont améliorés, plusieurs ont fait partie de l’équipe du Québec, certains l’équipe nationales et j’ai commencé à faire des projets avec Triathlon Canada en tant qu’entraîneur de l’équipe nationale junior aux championnats du monde (2006, 2007, 2008). La volonté de TriCan à l’époque était de garder un groupe de coachs stables aux différents jeux / championnats. C’est donc dans cette optique que j’ai été assistant entraîneur aux jeux pan-américains (je coachais également Kathy Tremblay qui avait fint 4e à ces jeux) et aux Jeux Olympiques de Beijing.

Avec le départ de Joel Filliol, j’ai appliqué sur le poste d’entraîneur chef de l’équipe nationale sénior de triathlon à Victoria. Un poste que j’ai occupé en 2009 et 2010. De tout ce cheminement, je dirais que les étapes les plus importantes ont été l’expérience de terrain que j’ai acquises au fil des ans. J’ai entraîné à 2 jeux majeurs, entraîné à 4 championnats du monde et à plus de 20 coupes du monde/WCS. Tout cela m’a apporté une perspective différente au niveau de mes attentes envers les athlètes ainsi que de ma conception du Haut Niveau.

Quels sont tes conseils pour quelqu’un qui souhaite entraîner l’élite dans l’avenir.
Être passionné de son sport et de ses athlètes. Comprendre qu’entraîner des athlètes élites, c’est avoir une relation émotionnelle avec des gens qui désirent atteindre les plus hauts sommets. Cela vient avec son lot de hauts et de bas. Pour un ex-athlète, c’est ce qui se rapproche le plus des émotions vécues. Il faut également être prêt à y mettre le prix car on ne peut pas compter ses heures lorsqu’on entraîne de l’élite.  Sinon, dans l’ordre ou le désordre: apprendre des meilleurs, oser essayer de nouvelles choses, être prêt à se faire déstabiliser, échanger avec d’autres entraîneurs de d’autres sports et être à l’écoute de ses athlètes (non de leurs désirs mais de leurs réactions physiologiques et émotionnelles)

Tu as été entraîneur adjoint de Joel Filliol au jeux de Beijing pour Simon Whitfield ainsi qu’entraîneur de Team Canada. On a vu depuis une sorte d’éclatement post-Beijing entre les athlètes où tout le monde souhaite s’entraîner dans son coin avec son propre groupe.  Comment expliques-tu cela?
Je comparerais un cycle olympique à une guerre de quatre ans. Les partenaires d’entraînement sont très proches les uns des autres, vivent littéralement des semaines ensembles. Ajoute les émotions (et les conflits) qui s’amplifient au fur et à mesure que le cycle olympique avance et tu arrives à la raison pourquoi les groupes éclatent. J’ajouterais également que les athlètes ont également besoin de changement de stimuli (mentaux et physiques) à la fin d’un cycle.

Ce qui explique souvent les changement d’entraîneurs à ce moment. Enfin, il ne faut pas oublier que les athlètes sont foncièrement égoïstes et pensent à leur propre succès. Cet égoïsme est une qualité jusqu’à un certain point pour quelqu’un qui désire réussir au plus haut niveau mais qui est souvent incompatible avec des relations à long termes entre partenaires d’entraînement.

Est-ce que le triathlète est un « animal » différent? On entend souvent parlé des Kenyans et de leur fameuse génétique, mais dans la réalité, c’est plus une sélection naturelle poussée par une vrai culture où tout le monde s’entraîne ensemble sans rien cacher et accueillant même les coureurs étrangers afin de créer un environnement stimulant.

Cette réalité existe également en triathlon et favorise les entraînements communs. Simon revient d’un camp en Nouvelle Zélande où il s’est entraîné avec Gemmell et Laurent Vidal. En 2010, lui et Kyle sont allé en Allemagne pour s’entraîner avec Frodo. La présence d’entraîneurs privés accentue cela également.  Le groupe de Darren Smith par exemple est plutôt international. Il a entraîné Lisa Norden, Lauren [Campbell], Barbara [Riveros], Sarah Groff, etc.

Le poste entraîneur national est-il encore pertinent? Simon Whitfield, Kyle Jones et Bret McMahon s’entraînent chacun de leur coté. C’est assez similaire chez les femmes.
Excellente question. Je pense que oui, ce poste est pertinent. Tout dépend de la vision que l’on en a. Si l’on parle d’un entraîneur qui sera l’entraîneur personnel de tous les membres de l’équipe, je pense que c’est irréaliste. Par contre s’il est plus orienté vers un mélange de manager/entraîneur il est tout-à-fait pertinent. Cela demeure également compatible avec la présence d’entraîneurs privés. Si l’on regarde par le passé, les entraîneurs de l’équipe nationale ont tous eu à composer avec une dynamique différente. Structure progressive pour Lance, absence de structure (à dessein) pour Joel et « surstructure » pour moi.

Les changements d’entraîneurs viennent souvent après des blessures à répétition. On a remarqué qu’en ITU, les femmes sont beaucoup plus souvent blessées que les hommes. D’ailleurs ce phénomène est encore plus fréquent avec les meilleures (Findlay, Snowsill, Moffatt). Peut-on dire qu’elles sont meilleures parce qu’elles flirtent avec la limite? Est-ce qu’il y a un manque d’adaptation des entraîneurs entre femmes et hommes?
Je ne suis pas certain que ce soit tout-à-fait vrai. Tout d’abord le volume de Snowsill et Moffatt n’a rien à voir avec celui de Paula. Effectivement dans le cas des 2 premières on parle de flirte avec la limite. Dans le cas de Paula, on peut parler en partie de mauvaises décisions, de malchances, etc.  Bien des hommes ont un volume et une intensité d’entraînement assez incroyable. Toutefois, ils sont beaucoup plus nombreux que les femmes.

Il en reste donc plusieurs au top qui ne semblent pas incommodés par les blessures. On oublie que Brent McMahon a raté une saison complète pour blessure, Kyle également (condition médicale).  Hunter Kemper, Brownlee, Gomez et bien d’autres ont été touchés par les blessures. Chez les femmes, le manque de profondeur fait en sorte que l’on a parfois de super talents qui émergent rapidement et qui n’ont pas le volume d’entraînement pour encaisser des saisons à répétitions sans se blesser.

Tu as d’ailleurs récemment démissionné du poste entraîneur chef de équipe du Québec, peux tu nous expliquer ton choix? 
C’est très simple.  J’ai accepté le poste de directeur de pavillon au Collège Bourget (secondaire 1,2 et 3) et ça me prends beaucoup de temps. On ajoute la famille à cela, je ne pouvais tout simplement pas faire un bon boulot. Tant qu’à faire quelque chose à moitié, j’ai préféré me retirer.

Tu es dormais sous Lifesport, une compagnie très reconnue pour son coaching en longue distance. Tu vas toujours continuer à coacher les élites ITU?
J’entraîne encore Marc-Antoine Christin et Philippe Deschamps qui sont présentement avec Joel Filliol et Kyle Jones en Floride en camp d’entraînement…donc oui, je vais quand même continuer.

A quel point est-il différent d’entraîner un élite en longue distance et en ITU?
Il n’y a aucune différence : persévérance, constance, dépassement, attitude. Pour le reste c’est simplement une planification autre. On travaille différemment avec les systèmes énergétiques. La périodisation est différente évidemment mais le essentielle de ce qui est demandé est le même.

Quand tu entends dire que l’ITU se sont des coureurs mouillés cela doit te faire rire?
J’adore les commentaires sur les forums de triathlon… Il faut une méconnaissance incroyable du sport pour penser ainsi. Chez les hommes, à Des Moines en ITU, la moyenne de puissance développée par les cyclistes du groupe de tête était de 300-320 watts avec des pics à toutes les sorties de virages. Paul Tichelaar avait un seuil d’environ 365 watts. Simon est incroyablement costaud en vélo (contrairement à ce qu’on pourrait penser). Kirsten Sweetland également. Évidemment certains ne sont pas très forts (Jarrod Shoemacher) mais aussitôt qu’on assiste à une course sur parcours difficile, ils disparaissent.

D’ailleurs, on a vu des élites ITU comme Nicola Spirig ou Bevan Docherty gagner en 70.3 alors qu’ils ne viennent pas en touriste, mais pas loin. Est-ce qu’on ne doit pas interpréter cela comme un entraînement inadéquate en longue distance? Est-ce qu’on fait fausse route sur les spécificités pour une athlète typique en 70.3?
Un athlète élite s’entraîne environ 25 heures par semaine + ou – 5hrs.  Les Néo-Zélandais sont plus près de 35h.  Pour moi ces athlètes s’entraînent pour des olympiques et en période de build où le volume est élevé ils sont en mesure de tenir en respect n’importe qui sur 70.3. J’ai eu une excellente conversation un jour avec Brent McMahon qui a gagné le 70,3 en Louisiane il y 3 ans.  Il me disait qu’il n’en revenait pas à quel point la course était lente comparativement à une course ITU. Il avait l’impression de se freiner pendant le premier 10 km.

Autre question qui revient sans cesse. Le triathlon est un sport jeune mais on voit la première génération qui ont commencé le sport par le triathlon, contrairement à des athlètes qui avaient des background d’anciens nageurs et d’anciens coureurs et qui sont arrivés dans la discipline par la suite. Pourtant on ne peux pas dire que ces natifs du triathlon ont vraiment un avantage sur les anciens athlètes venant d’un seul sport. L’addition des trois sports semblent être un limiteur au développement du plein potentiel. Qu’en penses-tu?
Je suis un peu en désaccord avec cela. Un jour, en fouillant sur ITU, j’ai retrouvé les résultats juniors aux mondiaux de 97,98,99.  Tous ou presque des tops actuels couraient déjà en junior. En 2006 alors que j’entraînais l’équipe nationale junior mon équipe féminine était :  Kirsten Sweetland, Paula Findlay, Sarah Anne Brault et Marianne Hogan! Le gagnant de ces mondiaux chez les hommes était : Alistair Brownlee devant Vassiliev. Par contre, je suis d’accord dans la mesure où il faut faire extrêmement attention dans le développement à long terme de nos athlètes et développer les bonnes qualités au bon moment.

Maintenant que tu as roulé ta bosse un peu partout, comment tu situes le triathlon québecois face aux autres?
Nous avons un pool d’athlètes juniors incroyable. Le meilleur programme de développement au pays tant au niveau des courses que des clubs. Il nous reste à trouver une façon de garder nos athlètes dans le sport à partir du moment où ça compte le plus : à partir de 20 ans.

Pour moi un excellent exemple est Manon Létourneau.  Elle fait ce qui doit être fait pour réussir au plus haut niveau. Avec le nombre d’athlètes que nous avons, nous devrions pouvoir mettre bien plus de gens sur l’équipe nationale.  Il reste également à développer une culture de haute performance.

Est-ce que tu voudrais ajouter quelque-chose? 
Simplement vous féliciter pour votre site. Contenu varié, très professionnel et très à jour : Chapeau!

4 commentaires
  1. Très bel article. Félicitations pour l’ensemble de ton oeuvre. J’espère que tu parviendras à trouver suffisamment de matière à faire de ce métier ton occupation première (si c’est ce que tu vises bien sûr).

    Bravo encore!
    Charles