Critique de livre > Racing through the Dark / David Millar

Millar, David (with Jeremy Whittle). Racing through the Dark : the Fall and Rise of David Millar. London : Orion, 2011.

Alors une autre autobiographie, style en vogue s’il en est un dans la littérature cycliste du moment. L’auteur c’est David Millar, Écossais, coureur de l’équipe Garmin-Sharp : 1,91m, 78kg, né le 4 janvier 1977.

Millar s’est fait prendre avec 2 seringues vides et 4 fioles d’epo chez lui à Biarritz en 2004. Il menait jusqu’alors une vie de petite star avec sa Jaguar, sa grande maison de 400m2 et les fêtes jusqu’aux petites heures du matin. Ah oui, et c’était aussi un cycliste en pleine ascension, champion du monde en titre du contre la montre et vainqueur d’étapes au Tour de France.

Le texte fait 346 pages au total. Millar commence à se doper à la page 156, se fait jeter en prison par les autorités françaises à la page 206, puis reprend la compétition à la page 265. À la page 270 il a déjà gagné sa première course « clean » (une étape de clm de la Vuelta) et est devenu un apôtre dans la lutte anti-dopage. Cela pour signifier que bien que prenant une place importante et totalement non-négligeable, le dopage n’occupe qu’une partie du livre et devient surtout omniprésente au dernier tiers. Bref même si vous êtes saturés d’histoires de dopage, vous trouverez ici une diète suffisamment riche en dehors des touillages de PEDs.

C’est plutôt bien écrit en général même si on dérive parfois vers l’anecdotique, du genre que l’on se retrouve complètement saoûl sur un yatch dans un party avec Guy Laliberté et que ça reste du pur « name-dropping », ou encore vers le moralisateur qui répète un peu trop qu’il s’en est sorti et qu’il peut faire voir aux autres la lumière. Toutefois, les portraits humains sont sensibles et paraissent justes et c’est l’une des qualités du livre. Le français comme langue utilisée lors de son séjour en France est bien préservée dans les dialogues et ça donne un certain cachet. Le choix des illustrations couvre bien la carrière de Millar de ses débuts à maintenant. Il y aurait par ailleurs un film en préparation (non ce n’est pas une blague), le titre provisoire étant Being David Millar et la sortie est prévue pour 2013.

Il y a différents concepts, différentes idées du moins, qui traversent ce livre. Par exemple : 1) l’idée de l’outsider qui reste toujours un étranger, l’Écossais en Angleterre, puis à Hong Kong, Nice, Biarritz, l’ex-dopé chez les coureurs propres anglais (2005-), le coureur propre dans le peloton (2006-); 2) la prise de risque, des premières course en bmx au vélo de montagne puis aux descentes, sprints et virages de contre-la-montre en course pro, c’est un aspect capital du cyclisme qui est rarement traité; 3) l’importance de la forme et de l’esthétique en cyclisme, d’une certaine sophistication dans comment on se tient à vélo, comment on entretien sa mécanique, et là Millar remonte à Coppi et Anquetil. Mais ces idées sont traitées, malheureusement, un peu trop en surface et c’est au lecteur d’effectuer les connections. Alors on attend toujours cette autobiographie qui contiendra autant d’idées que de noms de personnes célèbres.

Autre intérêt de ce livre, voir de l’intérieur comment s’effectue le glissement vers le dopage tant sur le point de vue physique que psychologique. Comment on commence avec des injections de « récup », puis on prend des pilules pour dormir, de la cortisone pour les tendinites, et bien vite on s’auto-injecte de l’epo (« It was probably the easiest and most anti-climatic injection I ever had » (160)) et on se trouve, freelancer que l’on est, notre propre médecin espagnol pour nous doser un programme d’entraînement de champion.  Mais bon, en octobre 2012 cet aspect a un impact sans doute diminué par rapport à celui qu’il pouvait avoir à la sortie du livre en 2011.

Encore une fois, comme dans le cas de Tyler Hamilton, il faut voir comment le cycliste dopé se sent littéralement mû par un moteur comme un Cancellara qui se serait soudainement retrouvé au Paris-Roubaix 2010 avec 100 watts de plus dans les pédales (on prend là un exemple au hasard). Le Millar dopé est un Millar qui se met à faire des gestes impulsifs qu’il n’aurait jamais fait auparavant. Entre autres une journée de course très venteuse à la Vuelta alors qu’il est pris dans le 3e échelon et voit les 2 autres s’envoler au loin, il fait seul le pont du 3e au 2e groupe, prend un repos de quelques minutes, se sent très très bien et décide de partir, seul, vu qu’il « commence à s’amuser », à la poursuite du 1er groupe : « J’ai passé les vingt minutes suivantes à chasser à plus de 60km/h avec une cadence au-delà de 115 rpm ». Avec un peu d’aide d’un coéquipier alors qu’il croit qu’il va se briser en morceau à une centaine de mètres de son but, il finit par rattraper le premier groupe. Il se rend alors compte que s’est effectuée avec le dopage une espèce de séparation mentale/physique … et le mental va pouvoir faire des demandes en apparence irrationnelles au physique. C’est comme appuyer sur le gaz d’une voiture neuve que l’on veut tester et c’est typique chez le néo-dopé qui apprend à connaître ses nouvelles limites …

Petit point négatif qui en cache possiblement d’autres, on a parfois l’impression que Millar nous prend pour des valises. Comme lorsqu’il affirme que les seringues trouvées chez lui par les autorités françaises en 2004, il les avait ramenées vides (!!!) des championnats mondiaux et avait décidé de les garder en souvenir (!!!). David, si tu lis ceci, je dois te dire que c’est drôlement invraisemblable comme histoire. En fait c’est incompréhensible jusqu’à ce que l’on comprenne que la loi française punit tout dopage effectué sur son territoire, mais pas nécessairement la possession, ni par ailleurs le dopage effectué dans d’autres pays (http://news.bbc.co.uk/sport2/hi/other_sports/cycling/6279247.stm). Mais, David, de telles histoires tendent à miner la crédibilité du reste de ton livre, que j’ai sinon bien apprécié … c’est un peu comme tout ces récents repentis que l’on retrouve dans le rapport de l’USADA qui ont pour point commun de ne plus avoir touché (par magie) à une seule goutte de potion magique depuis exactement la même année, soit 2006. C’est murky.

Mais bon ne gâchons pas notre plaisir pour de tels doutes ponctuels, il s’agit d’un livre qui se lit bien et qui en vaut la peine. Ah oui, Wiggins = pas cool (un peu égoïste), Cavendish = cool (gentil et altruiste). Bon alors David, que vas tu faire maintenant …. un record de l’heure « clean » sur une bécane old school ça te dirait?

 

4 commentaires
  1. 2006, c’est l’année ou Dick Pound a fait beaucoup de pression avec la WADA et que la lutte anti dopage a vraiment commencé… de memoire, il avait attrappé pour epo durant l’hiver des skieurs de fond…

    On June 9, 2006, Armstrong sent an eight-page letter to Jacques Rogge, president of the International Olympic Committee, demanding that action be taken against Pound.

    1. oui mais ça reste une drôle de coïncidence tout le monde qui jette ses stocks en 2006 … j’ai l’impression que la grande majorité n’arrête de se doper que lorsqu’il y a test positif …. même aujourd’hui …. pour moi l’autre interrogation c’est Sky … Wiggins, Froome et le petit nouveau aussi, c’est un méchant condensé de watts/kg

        1. Barry, y a un transfert/départ aussi… moi j’adorre les props de Dowsett, genre… je ne savais rien de Lance… hey oh, le gars a été pris en photo avec motoman… tsé le livreur/suiveur d’epo de lance!