Critique de livre > Anquetil tout seul / Paul Fournel

Fournel, Paul. Anquetil tout seul. Seuil, 2012.

8.4/10

Ce n’est pas le livre typique du sportif, plusieurs passages sont écrits à la première personne et mélangent réalité et fiction réaliste. Autre point singulier, l’auteur s’attarde particulièrement à la matière concrète, aux pièces de vélo, à la chair du cycliste, à la température qu’il fait. Il rappelle en cela le récent Courir de Jean Echenoz qui retraçait la vie sportive du coureur Tchèque Emil Zatopek.

On se retrouve donc souvent dans la tête d’Anquetil. C’est un pari risqué de la part de l’auteur, d’ainsi prêter flanc, mais c’est réussi dans la mesure où l’on accède ainsi à une certaine vérité intime de la compétition. Comme par exemple dans ce passage nous plongeant directement dans la dernière portion de Bordeaux-Paris qu’Anquetil avait fameusement enchaîné immédiatement après le Dauphiné libéré pour un splendide et exaltant total de 2500km de course en 9 jours : « … c’est Stab qui me tire par la main vers mon vélo et ma jambe se soulève toute seule, sans mon autorisation, pour repasser par-dessus la selle. Ensuite ce sont les premiers tours de pédale dans l’enfer, et puis la pétarade du derby et le gros Jo Goutorbe qui se place devant moi et qui va m’entraîner. Il a entassé des pulls et des maillots pour se faire plus gros encore, il pédale en canard pour me couper du vent, son dos est mon seul horizon, je ne veux plus rien voir d’autre, qu’il s’occupe de tout, je dors en pédalant, je n’existe plus ».

Et en même temps, paradoxalement, cet attachement au concret, aux faits, ouvre sur une certaine abstraction. Par exemple le passage « il pédalait blond, la cheville souple, il pédalait sur les pointes, le dos courbé, les bras à angle droit, le visage tendu vers l’avant. » mène directement à une idée abstraite de l’essence de ce qui fait qu’Anquetil est Anquetil : « Il était fait pour être vu seul sur la route, découpé contre le ciel bleu ; rien en lui évoquait le peloton, la masse, la force en union (…) ».

Il y a là dans la description une certaine modernité, une certaine lumière angulaire et crue qui n’est pas sans rappeler l’univers de Camus. On accorderait même au récit un côté proprement mystique, comme lors de cette rencontre toute en clair-obscurs d’Anquetil avec un Fausto Coppi comme lui « mince, et presque fluet », qui se fait masser dans sa grande maison à Novi Ligure par un géant noir ancien boxeur poids lourds. Lumière que l’on retrouve également dans l’évocation de la pureté du record de l’heure, ou encore de l’effort contre-la-montre dans lequel se spécialise Anquetil.

Mais bon, l’auteur dirait-on n’arrivant pas à soutenir ce niveau acéré, à supporter cet espace ouvert et exposé, ne peut s’empêcher d’introduire en contrepoint, comme pour mieux prendre une grande bouffée d’air à l’ombre, un discours autobiographique parallèle où il relate sa tendre enfance de jeune fan cycliste au vélo vert comme celui de son héro. Et là on tend vers le comique et le franchouillard nostalgique, ce qui vient assurément diluer la sauce originale mais sans heureusement parvenir à la gâcher. Et on ne boudera quand même pas notre plaisir sur le plan anecdotique …. les coureurs qui fumaient des cigarettes, qui buvaient de la bière et du champagne après les course … le camembert, le homard … les amphétamines et encore les amphétamines. On apprend par ailleurs que c’est pour Anquetil que fut fabriqué sur mesure le « terrible » braquet de 13 dents.

La fin de l’histoire est, de manière très appropriée, une véritable tragédie grecque. Un jour, Anquetil revenant d’un omnium accroche ses deux vélos au mur, prêts à être utilisés, pour ne plus jamais les retoucher, puis, sa vie familiale et amoureuse prendra des chemins pour le moins tortueux et surprenants. Et il mourra à 53 ans d’un cancer de l’estomac. L’auteur parle de la malédiction des maillots jaunes qui « gagnent sur la route leur part d’éternité, mais certainement pas leur longévité. comme nombre d’entre eux, il est mort jeune. Il a 53 ans. Il est plus jeune que Bobet, mort à 58 ans, mais plus âgé que Fignon, mort à 50 ans, que Coppi, à 41, que Koblet, à 39 … ».

 

 

 

 

 

 

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