Audrey Merle se fait trimer > La rentrée parmi les grandes

Audrey Merle est une athlète discrète qui préfère s’exprimer avec ses résultats. Dans une équipe de France féminine qui se cherche, les attentes sont très grandes. Sa saison 2014 a impressionné par sa constance avec des podiums en junior au championnat d’Europe et du monde et sa première victoire en Grand Prix D1. En cerise sur le gâteau, sa participation dans l’équipe française de relais vice championne du monde illustrant parfaitement son impatiente à se mesurer aux meilleures. Son top 5 en coupe du monde en distance olympique consolidera les attentes. En 2015, Audrey évoluera sur première saison en série mondiale, on s’est entretenu pour en savoir plus sur cette étape importante dans sa carrière. 

La dernière fois que l’on s’est vu, c’était à Edmonton, tu étais passablement déçue de ta troisième place junior tout en étant consciente que tu revenais de loin (fracture du scaphoïde). Avec le recul, qu’en tires-tu?
Edmonton avec le recul … Étant donnés les jours peu agréables que j’ai passés en amont de cette course, je ne peux pas vraiment dire que j’en garde un très bon souvenir. Mais c’est peut être là-bas que j’ai le plus appris, le plus « grandi » en fin de compte. Cette médaille, je l’ai obtenue en quelque sorte dans la « douleur », et cela m’a prouvé une fois de plus que rien n’est perdu d’avance. J’aurais pu m’écouter, ne jamais prendre le départ, mais j’ai choisi de me battre. J’ai aujourd’hui la conviction que cette étape m’apportera beaucoup. Finalement, les imprévus en triathlon… il y en tout le temps. Il faut « juste » apprendre à les gérer.

Dans cet apprentissage, tu gagnes la semaine après ton premier grand prix, j’imagine que c’était une étape importante de gouter à la victoire…
Effectivement, le Grand Prix de Quiberon est un souvenir assez émouvant. J’aime gagner, franchir cette ligne première fut vraiment un très bon moment. Même s’il y a de nombreuses raisons qui me motivent au quotidien à m’entraîner,  l’instant de bonheur intense que l’on a en franchissant la ligne première en fait partie.


Capture d’écran 2015-02-21 à 08.47.31Comment te comportes-tu sous la pression?
Je suis rarement entièrement satisfaite de ce que je fais dans tous les domaines d’ailleurs. Je suis davantage contente quand je gagne alors que c’était loin d’être chose aisée, comme à Quiberon en fin de compte. Donc l’adversité me stimule… me pousse dans mes retranchements. Cependant, je pense justement que le fait de m’aligner sur des courses élites l’an passé m’a permis de me tester. Je ne prenais pas le départ favorite, loin de là !

C’était ta dernière saison en junior. Le passage en U23 est généralement très appréhendé avec le doublement de la distance et parce qu’une faiblesse dans un sport se paye cher, cela ne semble pas te faire peur pourtant, non?
À Montpellier, avec Stéphanie je le travaille depuis mes débuts ce passage. Que ce soit Stéphanie ou Pascal d’ailleurs. Ils m’ont clairement fait comprendre depuis le début que ce doublement de distance devait être anticipé si l’on ne veut pas que tout s’arrête après la catégorie « JUNIOR ». Je n’ai pas envie que cette belle aventure prenne « fin ». Anticiper le CD ne m’a pas empêchée d’être performante sur Sprint, je n’ai aucun doute sur le fait qu’ils ont su me guider dans cet apprentissage. D’autre part, j’ai toujours préféré les efforts plus longs. Deux heures d’effort cela colle mieux avec mon profil, je pense.

Crois-tu que ton adaptation vient avant tout de ton passé de nageuse? Cela peut paraitre paradoxal puisque tu étais une spécialiste du papillon…
Objectivement, si je n’avais pas nagé pendant toutes ces années, je n’en serais pas là. La natation m’a beaucoup apporté. Cela est un avantage d’arriver de la natation puisque c’est une des trois disciplines qui devient plus difficilement perfectible avec l’âge. Cependant, cela peut aussi être à l’origine de certaines barrières comme une difficulté à retranscrire son niveau en eaux vives, à la bagarre. Le transfert a lieu au niveau physiologique, c’est évident. Toutes les longueurs enchaînées pendant plusieurs saisons m’ont permis de développer le moteur comme on pourrait le dire. Mais l’encadrement dont j’ai bénéficié en arrivant dans le monde du triathlon au pôle explique certainement tout autant le fait que j’ai pu assez rapidement réaliser le transfert.

En ce qui concerne le papillon, je pense que le 200 m papillon est une bonne école  Si c’était ma spécialité en natation, cela ne veut pas dire que je ne m’alignais pas sur d’autres épreuves, au contraire:)

10848901_1542035942726728_5554001986225259997_oIl parait que même avec ton passé de nageuse, la natation en lac semble être un obstacle pour toi…
J’ai toujours eu dans un coin de ma tête l’idée que le triathlon pourrait me correspondre puisque cela alliait deux disciplines que je souhaitais pratiquer, la natation et la course à pied (enfin seulement les cross….), mais je n’arrivais vraiment pas à nager en eaux vives… Ne pas voir le fond, ne pas savoir ce qu’il y avait sous mes pieds m’était insupportable. Un vrai blocage. Encore aujourd’hui, je ne fais pas ma fière quand je suis seule dans la mer ou dans l’océan… mais en course on n’a même pas le temps de penser à tout ça alors je m’y suis faite !

Même si tu étais dédié à la natation, tu courrais déjà en cross… la fédération t’as alors repérée. Peux-tu nous parler comment tout cela s’est présenté à toi?
On m’a proposé d’essayer l’Aquathlon (Val de Gray) tout d’abord. Compte tenu des résultats que j’avais réalisés en natation et en cross. J’ai accepté de participer sans réellement savoir ce que cela pouvait donner. Je m’étais imaginée sortir devant de l’eau et me faire remonter par la suite. Tout l’inverse s’est produit. La partie natation fut un calvaire. Je me suis perdue dans l’eau, je ne voyais rien. Je cherchais désespérément ma ligne d’eau… que je n’ai évidemment jamais trouvée… et puis en sortant de l’eau, je n’avais rien à perdre… j’ai bouché l’écart avec la tête de course puis j’ai gagné. En franchissant la ligne, j’ai compris que j’avais trouvé ma voie… L’enchaînement des disciplines, c’était ça qu’il me fallait. Après deux disciplines, pourquoi pas trois ?

Honnêtement, je ne pouvais décrire le triathlon que par les disciplines qui le composaient. Je ne connaissais ni les différentes distances ni le fonctionnement du circuit. Les noms de certains triathlètes en Équipe de France me parlaient puisque je suivais un peu tout aux JO à la télévision, mais c’est tout.

À tes débuts, est-ce que tu pensais déjà aux Jeux olympiques? Ton ascension est tellement rapide qu’il est difficilement croyable que tu allais déjà rentrer dans ton premier cycle olympique En 3 vraies saisons, tu te retrouves déjà sur un podium mondial (2e au relai, 3e JR).
Les JO me faisaient rêver comme tout jeune sportif. On est tous plus ou moins convaincus que l’on ira un jour quand on est petit. Et puis petit à petit, on prend conscience que cela ne vient pas en claquant des doigts, qu’il ne suffit pas d’en rêver. Aujourd’hui, j’ai envie de faire tout mon possible pour que cela devienne un objectif et non plus un rêve. On verra bien ce que cela donnera, mais je ne veux pas avoir de regrets. Tout est allé très vite, c’est sûr. Quelque part c’est une chance, mais il ne faut pas  se brûler non plus. Je vais essayer de continuer sur cette lancée le plus possible, ne pas me donner de limites pour le moment.

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Peux-tu nous parler de ton environnement sachant que tu es un pur produit de la fédération n’est-ce pas?
Depuis que j’ai réellement débuté le triathlon, je suis sur le Pôle de Montpellier, essentiellement encadrée par Stéphanie Deanaz et Pascal Choisel donc on pourrait le résumer comme cela. Si je devais trouver trois mots qui résumeraient mon environnement, ce serait « confiance », « rigueur » et « humilité ». En effet, je suis entourée de personnes très compétentes, impliquées, passionnées dans la structure. J’ai la chance d’avoir croisé leur chemin. Je leur dois beaucoup. J’ai confiance en ce qui me propose au quotidien. Ce sont également des personnes humbles, ouvertes, ce qui leur permet d’évoluer dans leurs méthodes d’entraînement, d’explorer d’autres ressources. Je pense que c’est principalement parce que j’ai une philosophie d’entraînement identique que je m’y sens bien.

Est-ce que le milieu est généralement déstabilisant pour toi? J’imagine que c’est beaucoup à digérer en peu de temps.
Déstabilisée, je ne pense pas. En revanche, certaines choses peuvent me surprendre. J’ai découvert le triathlon relativement récemment et forcément découvrir un nouveau sport revient à appréhender un nouvel environnement, de nouvelles méthodes… Le monde du triathlon est quand même assez éloigné de celui de la natation. J’ai donc dû trouver de nouveaux repères.

Certaines rumeurs disent que tu as refusé de changer de clubs de D1 cette saison malgré des offres plus lucratives… est-ce vrai?
J’ai choisi de rester à Parthenay effectivement. Le changement de clubs à l’intersaison fait partie des choses que je découvre. C’est assez difficile je trouve, assez loin de l’image du club que j’avais étant nageuse. En natation, appartenir à un club a de manière générale une signification plus forte dans la tête des athlètes. Ce qui est certain, c’est que j’ai besoin de stabilité, de sérénité pour avancer.

Tu as décidé de ne pas suspendre tes études pour ta carrière pro. Cela semble une nécessité pour toi…
Je n’ai pas réellement le sentiment d’avoir fait un choix. Pour être honnête, allier sport et étude coule de source pour moi. Je ne me vois pas arrêter les études. Contrairement à ce l’on pourrait penser, cela me desservirait sur le plan sportif. Je trouve mon équilibre dans ce double projet. Je n’ai jamais imaginé l’un sans l’autre. D’ailleurs, en dehors d’un besoin, je considère les études comme une nécessité. Le sport, la performance, peuvent très bien s’arrêter du jour au lendemain, même si je ne le souhaite évidemment pas … En ce qui concerne l’organisation, ce n’est pas toujours évident. Je ne suis pas sur un rythme constant comme un étudiant normal qui se rend quotidiennement à la faculté. Je récupère au mieux l’ensemble des cours, je travaille ensuite seule chez moi à mon rythme, au rythme de mes semaines d’entraînement. Les semaines très intenses sportivement parlant, je fais seulement les choses peu coûteuses sur le plan nerveux. Je rattrape le reste sur mes semaines plus tranquilles et ainsi de suite. L’essentiel pour moi, c’est que je sois prête aux examens.

Étant en STAPS, as-tu l’impression que cela va te permettre de mieux comprendre les nécessités pour être un athlète de haut niveau?
Je pense que cela peut m’apporter. Comprendre son entraînement, son organisme est indispensable pour être performant sur le long terme.

Tu sembles déjà savoir en quoi tu voudrais te spécialiser… j’imagine que cela a aussi comme but de trouver des réponses…
Je souhaite à l’issue de ma troisième année de licence, intégrer un master  » Science du mouvement » puis un doctorat dans le domaine de la biomécanique. C’est encore une voie très large, mais toutes les branches de la biomécanique me captivent. L’intérêt que je porte pour la biomécanique n’est effectivement pas anodin. Je me pose souvent beaucoup de questions dans mon quotidien qui trouveraient probablement réponse grâce à la biomécanique.

Tu as battu le record de 10km route avec 34″37 (retranchant 27 secondes sur Cassandre Beaugrand). La planète de l’athlétisme française semble un peu chamboulée par votre impact (cassandre et toi). Forcement, le milieu te compare Cassandre et toi… Est-ce que tu ressentais une urgence à la battre puisque tu es deux ans plus vieille qu’elle et que cela a tendance à te placer en arrière dans l’appréciation du milieu.
Une urgence ? Certainement pas. Cassandre est une coéquipière au sein de l’équipe de France et une concurrente comme une autre au départ des courses. Forcément, j’ai envie de gagner. Cela passe par devancer Cassandre. Je pense que l’on a tout à y gagner à être plusieurs Françaises au niveau international. C’est stimulant. Cela peut vraiment être bénéfique pour le triathlon français. Il faut juste savoir en faire bon usage. Cassandre est plus jeune, je suis plus récente dans le triathlon. On a chacune nos qualités et nos défauts, des parcours et des profils très différents. Avant de se comparer, il vaut mieux se concentrer sur sa propre progression. Peut être que certaines personnes aiment bien tout comparer, mais franchement je ne vois pas l’intérêt…

Dans quelques semaines, tu feras tes débuts en série mondiale. Dans quel état d’esprit es-tu?
J’ai hâte. Je suis pressée de découvrir la WTS.  C’est le meilleur moyen de prendre conscience du niveau requis pour être performante au sein de l’Élite mondiale. C’est une chance de prendre le départ à Abu Dhabi, une expérience qu’il faut vivre à 100 %.

Appréhendes-tu les spécificités de la série mondiale? J’imagine que tu entends souvent parler de ses exigences particulières…
J’ai beaucoup observé ce qui se passait sur ce type de courses, j’ai également écouté attentivement les personnes qui ont pris part à différentes WTS. Effectivement, c’est un circuit exigeant qui ne laisse pas place aux petites erreurs … C’est en ça qu’il est passionnant.

La commande sera importante puisque dès ta première saison, tu devras être régulière en WTS afin d’aller chercher un dossard aux Jos et tenter de gagner ta sélection à Rio ou a Chicago. La demande semble très chargée et assez compliquée dans la planification.
Je vais prendre la saison course après course afin d’optimiser chacune d’entre elles. Beaucoup de premières, c’est vrai, mais il faut bien débuter un jour. Cette saison est pleine d’incertitudes en fin de compte. Mais elle peut être réellement merveilleuse aussi. L’entraînement paie donc je vais prendre le départ sans complexe. J’admire un grand nombre de filles qui prennent le départ de ces courses. Mais aujourd’hui, c’est à mon tour de montrer que j’ai ma place parmi elles. Après tout, on verra bien !

Une rumeur dit que ta soeur voudrait aussi se mettre au triathlon…
Ma soeur est en train de tomber dedans effectivement … et c’est plutôt addictif comme sport … Elle a de très belles qualités. C’est elle qui choisira sa voie en temps et en heure, mais je suis certaine que si elle tente l’aventure, elle aura aussi l’occasion de vivre de très belles choses.

Audrey Merle fera sa rentrée en compétition à la première série mondiale de l’année – Abu Dhabi. 

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