Trimomètre #12 > Différences hommes-femmes, partie 2 : Locomotion, âge et distance

Comme promis, dans cet article je finis de parler des différences hommes / femmes dans les sports d’endurance. L’article précédent identifiait les causes biologiques de ces différences, et il apparaissait que les femmes ont une VO2max naturelle plus basse que les hommes, ce qui les désavantage au niveau de leur vitesse. Les autres caractéristiques qui définissent les athlètes d’endurance (seuil lactique, fibres musculaires) étaient similaires chez les hommes et les femmes, ce qui rendait les deux sexes sur un pied d’égalité en termes d’endurance pure, si ce n’est que le taux de testostérone naturellement élevé chez l’homme lui permettait d’avoir une masse musculaire plus importante, et d’encaisser un peu plus de charge à l’entrainement.

L’idée maintenant est de voir quels sont les conséquences dans le triathlon. Encore une fois, le travail a été mâché par Romuald Lepers, puisque je n’ai fait que sortir des chiffres et des graphes de ses nombreux articles scientifiques sur le sujet. Je m’appliquerai donc à vulgariser et synthétiser le plus clairement possible les effets du mode de locomotion (puisqu’il y en a trois dans le triathlon), de l’âge et de la distance sur les écarts entre les hommes et les femmes. J’aurais pu parler de beaucoup plus, mais disons que je m’en garde sous la pédale pour de prochains articles.

Effet du mode de locomotion

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Le graphe ci-dessus donne les écarts de temps (en pourcentage) entre les hommes et les femmes sur Ironman en prenant la moyenne des temps des Ironman d’Hawaï 2006 à 2008.

En natation, puisque la masse de gras, plus importante chez la femme, augmente la flottabilité du corps (et même des pieds) dans l’eau, l’écart est le plus faible dans cette discipline. Le rendement mécanique serait même meilleur chez les femmes ce qui fait que ces dernières compensent presque leur VO2max plus petite.

En vélo, l’écart est logiquement plus grand qu’en natation, mais tout de même plus petit qu’en course à pied, car la masse de gras corporelle, avantageuse en natation, est à présent une limite dans les sports antigravitaires comme la course.

Une autre approche est de comparer les puissances développées dans les trois sports. Si la notion de puissance est commune pour le cyclisme, elle est plus ambigüe pour la nage et la course. Aussi, ce n’est pas directement une puissance qu’on peut calculer, mais un ratio de puissance : Le rapport de la puissance développée par une femme versus celle développée par un homme (Pw/Pm) qui est calculé en fonction de du rapport de leur vitesse (Vw/Vm), et voilà les formules :

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Pour la nage et le vélo, l’aérodynamisme joue un rôle majeur ce qui implique un exposant 3 sur les ratios des vitesses. En course, l’aérodynamisme ne compte pas plus que ça, et le rapport des puissances est proportionnel au rapport des vitesses. On n’en dit pas plus que ça car l’aérodynamisme sera le prochain très gros dossier Trimomètre !

Bref, tout ça pour dire que c’est compliqué de calculer une puissance en natation ou course à pied, mais très facile de calculer un rapport de puissance, et du coup d’en tirer des différences de puissances homme / femme développées dans chacune des trois disciplines :

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Puisque la puissance développée est proportionnelle à la consommation d’oxygène, les différences hommes / femmes dans leurs puissances sont de meilleures mesures de leurs différentes capacités physiologiques. En effet, à vélo les hommes font des temps meilleurs de 15,4%, mais pour cela ils doivent développer 38,6% de puissance supplémentaire, à cause des frottements de l’air qui augmentent exponentiellement avec la vitesse. En course à pied, 32.6% de puissance en plus suffit à courir 18,2% plus vite que les femmes. Pour la nage, la possibilité de drafter vient un peu fausser les données, mais on peut voir que contrairement au graphe qui présentait les écarts en temps, les hommes sont capables de pousser beaucoup plus fort en vélo.

Effet de l’âge

Lorsqu’on reprend les performances des Ironman d’Hawaï 2006 à 2008, mais que cette fois on tri suivant les catégories d’âge, on obtient ce graphe très intéressant :

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On se rend compte alors que les différences hommes / femmes en termes de chrono se situent de manière constante à 13-15% jusqu’à 50 ans, et au-delà de cet âge critique, l’écart grandi considérablement entre les hommes et les femmes.

En fait, le niveau de performance de tout le monde commence à baisser lentement à partir de 40 ans, et ce phénomène s’accélère au fil des années. Cela est dû principalement à la baisse de VO2max avec l’âge, et plus secondairement à la baisse du seuil lactique, alors que l’économie de foulée reste la même. Les athlètes les plus vieux encaissent aussi moins facilement la charge d’entrainement (50% de moins que les jeunes à 60 ans). Mais il a été montré que ces facteurs de déclin sont similaires chez les hommes et les femmes, et l’une des explications à l’écart grandissant entre les hommes et les femmes après 50 ans pourrait venir du fait que les dames de plus de 50 ans se soient mises au triathlon sur le tard, car le triathlon était majoritairement masculin jusque dans les années 1990.

Il faudra donc attendre que les demoiselles bien entrainées ayant actuellement entre 20 et 40 ans passent dans l’âge d’or pour comparer leurs performances à leurs homologues masculins et savoir si l’écart de 13 à 15% entre les deux sexes en Ironman est valable à tout âge.

 

Effet de la distance

Même si c’est la plus populaire, la distance Ironman n’est pas la plus longue en triathlon. De nombreux ultra triathlons (double, triple, quintuple, déca et double-déca Ironman) ont fleuri dans les années 90, offrant ainsi une belle base de données pour mesurer l’effort féminin et masculin dans les limites extrêmes de l’endurance.

Lorsqu’on regarde les écarts hommes / femmes chez les groupes d’âge comme chez les élites, pour les trois disciplines, la tendance montre clairement que plus la distance s’allonge, plus l’écart hommes / femmes grandit.

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Dans un article précédent où je regardais les relations entre le poids des athlètes féminines et leurs performances en Ironman, j’avais remarqué que les athlètes les plus lourdes avaient les meilleures performances. Une théorie propose en effet que plus de masse musculaire est un atout pour l’endurance en Ironman, et c’est même ce concept qui a poussé Chris McCormack à prendre de la masse musculaire pour augmenter son endurance en longue distance.

Puisque les femmes ont des caractéristiques physiologiques qui leur procurent la même endurance que les hommes sur des distances « normales », on pourrait avancer que leur plus petite masse musculaire pourrait être un facteur limitant dans l’endurance extrême.

Nous connaissons donc les phénomènes biologiques qui limitent les capacités physiologiques des femmes, et les statistiques qui donnent des chiffres et des pourcentages clairs sur les écarts hommes / femmes en triathlon. Tout cela ne fait que rendre plus belles certaines performances féminines incroyables, qu’on n’aurait pu faire rentrer dans aucun des graphes de cet article, comme les victoires de Paula Newby-Fraser à Hawaï, ou encore le marathon de Mirinda Carfrae plus rapide que le vainqueur masculin sur ce même Ironman.

Crédit photo de couverture : u-run.fr

Sources :

  • Trends in Triathlon Performance: Effects of Sex and Age, Romuald Lepers, Beat Knechtle & Paul J. Stapley, Sports Medicine 2013.
  • Participation and performance trends in ultra-triathlons from 1985 to 2009,
    B. Knechtle, P. Knechtle, R. Lepers, Scandinavian Journal of Medicine & Science in Sports, 2010.
  • Age and Gender Interactions in Ultraendurance Performance: Insight from the Triathlon, R. Lepers and N. A. Maffuiletti, Medicine & Science in Sports & Exercise, 2010.
  • Analysis of Hawaii Ironman Performances in Elite Triathletes from 1981 to 2007, R. Lepers, Medicine & Science in Sports & Exercise, 2008.
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