Trimomètre #10 > Start lists à la hausse, résultats à la baisse

Le circuit Ironman est un circuit en pleine expansion. 2014 et 2015 ont été des années marquées par le nombre impressionnant de nouveaux Ironman et Ironman 70.3. En 2016, la WTC a finalement réussi à saturer le marché de l’Ironman et a dû se résoudre à fermer des courses mais de nouveaux 70.3 continuent d’arriver (Chine, Caroline du Nord, Colombie Britannique, Brésil).

Avec la multiplication de ses courses travers le monde, les plateaux des pros se sont dilués en 2014, et on a même vu des courses qui n’arrivaient même plus à distribuer l’intégralité de son prize money car il n’y avait pas assez de pros, comme cet Ironman Canada où il y avait moins de filles pros au départ que de places récompensées au prize money.

La solution de la WTC a été de supprimer les pros de certaines courses, afin de reconcentrer le niveau sur les autres courses. Cela paraissait logique, le problème est que si le nombre de courses augmente, c’est qu’il y a une demande croissante, donc plus d’adeptes amateurs du sport triple. Mais le nombre d’élite n’augmente pas instantanément, car il y a un processus d’au minimum quelques années pour qu’une personne au talent caché émerge de la masse. Par exemple, les ontariens Lionel Sanders et Cody Beals sont clairement arrivés de nulle part (aucun passé en ITU), mais se sont découvert un talent lors de leurs premiers triathlons dans les années 2010. Leur première saison pro a eu lieu en 2014, et en 2015, ils faisaient déjà partis de l’élite mondiale.

Ce n’est donc qu’une question de temps avant de remplir les courses de pros.

Ainsi en 2015, on a vu les premières start lists à 80 pros. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la WTC a réussi à concentrer ses élites, il est loin le temps où on ne donnait plus tous les chèques du prize money.

L’idée de cet article est de regarder quels sont les impacts au niveau mondial de ce remodelage du circuit. On pourrait en effet s’attendre à voir davantage de grosses performances par course en densifiant celles-ci. La réalité est plus complexe. Je me concentrerais aussi sur le 70.3 plutôt que l’Ironman, car le circuit de 70.3 continue de se développer, et est plus rassembleur (tous les pros de longue distance y évoluent, et même des ITUiens).

Pour commencer voilà quoi ressemble l’évolution du nombre de courses aux Amériques (Nord, Sud et Centrale) et Europe-Afrique (incluant Moyen-Orient). Le nombre de courses augmente très vite dans les deux cas. Dans les Amériques, 2015 marque une diminution nette des courses avec pros, et ce nombre se stabilise pour 2015 malgré l’augmentation des courses. En Europe, c’est moins dramatique, avec 80% des courses environ qui reçoivent des pros.

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Les pros en Amérique qui évoluaient sur 36 courses en 2014 ont été restreints sur 29 en 2015. A cela s’ajoutent les nouveaux venus sur le circuit (ex : Beals, Sanders). En Europe, le circuit 70.3 pros a été moins restreint, mais on peut supposer que les néoélites à arriver en 2015 ont été nombreux aussi, car c’est en Europe que les start lists étaient les plus longues en 2015.

L’idée première de cet article était en réalité de voir comment, en diminuant le nombre de courses pro, le niveau s’était élevé sur ces courses, à l’image du 70.3 Mt Tremblant 2015 dont les temps du top 10 n’ont rien à voir avec ceux des autres éditions.

J’ai été surpris de voir totalement l’inverse : si le niveau est en effet extrêmement relevé pendant les courses, les résultats finaux des courses montrent une perte de vitesse dans le niveau mondial, signe que les dynamiques ont grandement changé dans ce « nouveau » circuit élite.

J’ai commencé par chercher un critère d’une bonne performance d’élite qui serait valable sur la majorité des courses. J’ai pensé au critère sub 4h (faire sous les 4h), car faire sous les 4h est pas mal ce qui sépare les vrais pros du reste du monde. Cela ne marche pas sur les courses difficiles, mais l’idée est de regarder toutes les courses et de faire la somme des sub 4h en 2014 et 2015, afin de voir le niveau global du triathlon élite longue distance. Par exemple, en 2014 ont eu lieu 225 performances sub 4h chez les hommes dans les Amériques sur le circuit 70.3 de la WTC, contre 180 en 2015. Chez les femmes, on peut mesurer la santé globale du sport élite en réitérant le processus avec comme critère sub 4h30, et le constat est le même. Le cas de l’Europe est plus complexe, car les européens sont moins frileux des côtes, et certaines courses apparues / disparues était trop dures pour un sub 4h (70.3 UK, 70.3 Barcelone…). Mais en Europe, comme en Amérique, les nombre de performances sub 4h / sub 4h30 a diminué.

2015 est donc une année où il y avait plus de pros sur le circuit (ou en tout cas, pas moins qu’en 2014), mais est aussi une année où le nombre de sub 4h est en nette baisse (-20% en Amérique, -26% en Europe), idem pour les femmes (-23% et -10%).

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L’idée est maintenant de quantifier le niveau de résultat moyen par course en prenant le nombre de performance sub 4h par course en moyenne sur l’année. En Amérique, le résultat moyen par course des hommes et des femmes est resté sensiblement le même. En Europe, le résultat moyen par course a nettement diminué.

Donc on récapitule : Des courses sont supprimées, les start lists se densifient, mais en moyenne sur l’année et dans le monde, on n’a pas plus de sub 4h, voire moins qu’avant… Comment est-ce possible ? Que se passe-t-il entre la ligne de départ et celle d’arrivée ?

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Il faut d’abord savoir que ces courses qui ont réunis davantage de pros en 2015 n’ont pas eu de prize money bonifié par rapport à 2014. Si la course récompense le top 5 des élites, qu’il y ait 10 ou 50 pros au départ, seuls les 7-8 premiers vont réellement livrer bataille sur la course à pied. Derrière, il n’y a aucun enjeu à finir 10, 11, 15 ou 20ème. Certains voyant le top 5 inaccessible n’hésitent pas à abandonner tôt dans la course. On peut donc penser que pour observer davantage de bonnes performances sur un 70.3, il ne faut pas élever le nombre de pros au départ, mais plutôt élever le prize money. Cela devrait être possible dans un contexte où les courses se multiplient (et donc les bénéfices pour la WTC), mais ce n’est pas le chemin qu’a choisi la WTC (les prize money additionnés de 2016 étant semblables à ceux de 2015).

Le 70.3 Mt Tremblant est l’exemple parfait : je disais plus haut que les résultats 2015 à cette course étaient nettement supérieurs à ceux des années précédentes. 2015 était aussi la première année où le prize money passait à 60,000$ (contre 25,000$ les années précédentes). C’est l’une des rares courses qui a eu son prize money bonifié, et une des rares courses où les résultats finaux ont été meilleurs.

Pour les « élites amateurs » (les athlètes dits pros mais qui ont néanmoins une source de revenu autre que le triathlon) qui représentent 80 à 90% du plateau élite mondial en longue distance, les conséquences ne sont pas très graves à part quelques places de perdues au général. Cette réalité est plus grave pour les « vrai pros » (ceux qui ne vivent que du triathlon, donc le top 10-20% des pros) car dans ce remodelage du circuit, il devient beaucoup plus ardu de défendre son bout de gras, et donc son salaire.

Le cas de l’Europe est encore plus révélateur : on pourrait prendre l’exemple du 70.3 Pays d’Aix 2015, car j’y ai pris part, et j’ai pu voir en direct (de l’arrière !) ce qu’il se passait quand il y avait 70 pros au départ pour un prize money dérisoire. Le 70.3 Pays d’Aix a le prize money le plus bas du cicuit Ironman, et en 2015 la start list était la plus longue de l’histoire du 70.3 (71 pros, record sûrement rebattu en cours d’année) qui ressemblait plus à un championnat du monde 70.3 à ses débuts. Si on analyse les temps vélo de 2015 avec ceux des autres années, absolument tout le monde a roulé en surrégime pour suivre les ubberbikers allemands. Dès le vélo, beaucoup ont abandonné, voyant le top 5 s’échapper et préférant se réserver pour un autre 70.3 dans une ou deux semaines. Parmi ceux qui sont restés, beaucoup ont cassé sur la course à pied. J’ai fait un meilleur run split ce jour-là que certains ténors du triathlon européen qui m’auraient mangé avec un vélo mieux dosé.

Au final, il y a eu certes une belle bataille, mais les temps finaux étaient identiques ou moins bien que les années précédentes : la plupart ont donc laissé beaucoup de plumes dans cette densité de talent, mais sont rentrés bredouilles. Parmi eux, beaucoup de vrais pros (exemple : Romain Guillaume, et d’autres) qui n’auraient fait qu’une bouchée d’une telle course il y a quelque années.

La conclusion, c’est que si la WTC décide de concentrer ses pros sur les courses, il faut aussi qu’elle y concentre les prize money. Sinon, c’est le sport professionnel qui est en danger. Il ne serait pas normal de voir le nombre d’élites vivant du triathlon diminuer dans un sport où la popularité est en hausse. Car ce qu’on peut lire entre les colonnes de mes graphes ou dans les listes d’abandon, c’est que beaucoup de monde ne ressort pas gagnant des course à la mort. De telles courses sont compréhensibles sur les championnats continentaux ou du monde, mais sur des 70.3 ou le prize money est sur le top 5 et se réparti en 3000$ – 2000$ – 1250$ – 750$ – 500$, on voit un paquet de vrais pros faire le voyage complètement à leur frais, et fragiliser leur situation financière.

Le sport triple élite est déjà affecté par la disparition de l’offre concurrente en Amérique du Nord (Challenge) qui laisse Ironman seul maitre à bord, et a donc du souci à se faire si des néo-pros continuent de faire leur apparition sur le circuit, et que les courses pros continuent de diminuer. De plus, en développant le sport amateur, mais en contraignant le sport élite, qui se développe de façon proportionnelle au sport amateur, mais en décalage temporel, il y a un risque de gâcher des jeunes potentiels qui n’arriveront pas à se faire une place dans leurs années néo-pros.

En 2016, la réaction de la WTC a été d’annoncer qu’elle se réservait le droit de refuser des pros sur ses courses en cas de start list surchargée, ce qui n’est malheureusement pas le bon remède au problème.

Annexes

  • Prize money sur les courses de la WTC : lien.
  • 70.3 avec / sans pros et nombres de sub 4h / sub 4h30 :

Amériques

2014 2015 2016
COURSE SUB 4H HOMMES SUB 4H30 FEMMES SUB 4H HOMMES SUB 4H30 FEMMES PROS
Pucon 1 1 2 0 Oui
Panama 11 10 Pas de course Oui
Buenos Aires Pas de course Pas de course Oui
Puerto Rico 2 2 1 2 Oui
Monterrey 7 4 15 8 Oui
California 8 6 11 10 Oui
Texas 19 9 11 11 Oui
Florida 6 8 Pas de pros Non
Palmas Brasil 7 7 19 10 Oui
New Orleans 5 7 13 8 Oui
St Croix 0 0 0 0 Non
St Georges 25 12 9 8 Oui
Chattanooga Pas de course 6 4 Oui
Hawaii 1 0 Pas de pros Non
Raleigh 4 4 4 8 Oui
Boulder 10 8 10 6 Oui
Eagleman 7 9 1 3 Oui
Victoria 1 0 Pas de pros Oui
Syracuse 5 1 Pas de pros Non
Mt Tremblant 2 3 7 3 Oui
Cœur D’Alene Pas de course Pas de course Oui
Buffalo Springs 1 3 2 3 Non
Vineman 7 8 8 6 Oui
Muncie 8 3 Pas de pros Non
Muskoka 0 0 0 0 Non
Racine 12 7 6 5 Oui
Calgary 8 8 7 4 Oui
Ecuador Pas de course 1 3 Oui
Steelhead 5 3 Pas de pros Non
Timberman 3 4 8 4 Oui
Lake Stevens 2 2 Pas de pros Pas de course
Ohio Pas de course Pas de course Non
Brazil – Paraguay 0 0 Pas de pros Non
World championships 29 17 9 6 Oui
Santa Cruz Pas de course Pas de pros MPRO seulement
Atlantic City Pas de course Pas de course Non
Augusta 4 5 Pas de pros FPRO seulement
Superfrog Pas de course Pas de pros Non
Cozumel 0 1 9 2 Oui
Silverman 0 0 0 0 Pas de course
Rio de Janeiro Pas de course 1 0 Non
Arizona Pas de course Pas de pros Non
North Carolina Pas de course Pas de course Non
Miami 11 8 11 8 Oui
Austin 5 0 2 3 Oui
Los Cabos Pas de course 0 1 Oui
Punta Del Este Pas de course 7 2 Oui
Cartagena Pas de course Pas de course Oui
Kansas 6 5 Pas de course Pas de course
Princeton 3 2 Pas de course Pas de course
Whistler Pas de course Pas de course Non

Europe-Afrique

2014 2015 2016
COURSE SUB 4H HOMMES SUB 4H30 FEMMES SUB 4H HOMMES SUB 4H30 FEMMES PROS
South Africa 0 0 0 0 Oui
Dubai Pas de course Pas de course Oui
Pays d’Aix 3 2 3 0 Oui
Mallorca 5 3 3 3 Oui
Austria 11 7 5 4 Oui
Barcelona 0 0 0 0 Oui
Switzerland 12 4 5 2 Oui
Kraichgau Pas de course 2 3 Oui
Italy 15 2 0 0 Oui
Staffordshire Pas de course 0 0 Oui
Luxembourg 7 5 7 3 Oui
Durban Pas de course 0 1 Oui
Kronborg Pas de pros Pas de pros Non
UK Exmoor 0 0 Pas de pros Non
Norway 7 1 6 7 Oui
Sweden – Jönköping Pas de course Pas de course Oui
Budapest 8 3 9 6 Oui
Estonia Pas de course Pas de course Oui
Poland Pas de course 2 1 Oui
Dublin Pas de course 0 1 Non
Wiesbaden 0 1 0 0 Oui
Vichy Pas de course Pas de pros Non
World championships 29 17 9 6 Oui
Zell am See 0 1 Pas de pros Oui
Ruegen 5 4 5 2 Oui
Weymouth Pas de course Pas de course Oui
Aarhus 1 1 Pas de pros Non
Pula Pas de course Pas de pros Non
Lanzarote 0 1 0 1 Oui
Turkey Pas de course 3 2 Oui
Bahrain Pas de course 17 5 Oui
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