Histoires de fusées : analyse schématique du moment-clé de la course sur route, championnats du monde de vélo 2012

Nous proposons ici une analyse sans prétention du moment-clé de la course sur route élite-homme des championnats du monde 2012 ayant eu lieu au Limburg dans le sud des Pays-Bas. Nous figeons la course en quatre temps qui correspondent à autant de schémas, sur une période totale d’environ une minute. C’est là croyons-nous que la course s’est jouée.

Une légende en fin d’article vient expliquer les différents symboles.

Nous vous suggérons en complément des schémas 2-3-4 de suivre l’action via le clip suivant

Schéma 1. Vive le travail d’équipe! (4.5 km avant l’arrivée —> pas sur le clip). Nous sommes au kilomètre 265 (la course fait 269 km), quelques minutes avant d’arriver dans la ville de Valkenburg au virage/entonnoir menant au Cauberg, une côte d’environ 1 km qui précède un grand faux-plat descendant menant à la ligne d’arrivée. Les équipes luttent déjà depuis un bon moment pour se positionner. Notons la présence prépondérante des Italiens (avec le jeune Moser en tête) qui forcent le rythme de la course, mais également des Australiens, des Allemands et des Espagnols qui sont tous bien regroupés. On se bat déjà pour être dans la roue du favori, le Belge Philippe Gilbert, avec le Russe Kolobnev et les deux Norvégiens, Boasson-Haggen ainsi que Nordhaug, qui ne s’en éloignent jamais beaucoup.
Schéma 2. Survival of the fittest (au bas du Cauberg —> clip = 0:40). Il n’y a qu’une ligne véritablement rapide pour passer le virage au bas de la côte, ce qui étire le peloton. Des Espagnols, il ne reste qu’un Freire isolé (Valverde ayant pris le virage en 20e position), des Allemands un Degenkolb. Les Australiens sont invisibles aux premières lignes. On assiste donc maintenant en tête de peloton au travail de deux fusées à deux étages : devant, la fusée italienne avec Paolini qui travaille pour Nibali, et juste derrière, la fusée belge avec Roelandts qui emmène le puissant Boonen. Puis soudainement surgit à droite une troisième fusée à deux étages, belge également, composée de Leukemans qui positionne Gilbert. Dans leur sillage immédiat, il y a le Britannique Tiernan-Locke (directement dans la roue du Belge) et les deux Norvégiens qui s’accrochent toujours. Kolobnev n’est pas loin non plus, en maraude.
Schéma 3. La cassure (à l’endroit le plus raide du Cauberg, 2 kilomètres avant l’arrivée —> clip = 0:46). Tout se passe maintenant très vite. D’abord Paolini, à bout de souffle glisse du côté droit de la route et laisse Nibali continuer seul. On pourra dire a posteriori que la fusée italienne n’avait pas les moyens de ses ambitions. Le Britannique de son côté n’a pas réussi à suivre Gilbert et semble désemparé. Les deux fusées Belges se combinent ensemble pour un très court instant, celle de Gilbert devant, puis Boonen se met lui aussi à glisser vers l’arrière mais sans modifier sa trajectoire ce qui crée une cassure, un trou dans le peloton. Gilbert se retourne, et voit alors que les Norvégiens, Boasson-Hagen en tête, sont à une dizaine de mètres derrière lui, en train de remonter le long de la file de coureurs. Il place aussitôt un démarrage violent (une « giclette irrésistible », pour emprunter une expression cycliste colorée de nos cousins d’outre-mer) et creuse rapidement un écart important.
Schéma 4. « Le passé est nostalgie, le futur est mystère, mais le présent est un don » (en haut du Cauberg à 1.3 km de l’arrivée —> clip = 1:34). Gilbert est seul devant à 60 km/h, en orbite. Le vent qui souffle de dos ce jour là favorise son effort individuel. Loin derrière, seul Kolobnev a pu croire un instant qu’il allait possiblement le rattraper. Dans la roue du Russe, Boasson-Hagen et Valverde (ce dernier sorti de nulle part) semblent déjà conserver leur énergie pour le sprint pour la médaille d’argent. Au final ce sera : Or, Gilbert; Argent, Boasson-Hagen; Bronze, Valverde. Kolobnev et Nibali finiront en, respectivement, 28e et 29e place, payant pour le meilleur et pour le pire, le prix de s’être engagé pour obtenir la victoire.

Ce qu’il faut retenir, c’est l’extraordinaire sens du « timing » dont a fait preuve l’équipe belge. Il y a bien sûr un facteur chance qui ne doit pas être négligé. Que ce serait-il passé si Valverde avait passé le virage parmi les premiers, si Boasson-Hagen avait été dans la roue de Gilbert lors de son démarrage, si le vent avait soufflé de face au sommet du Cauberg? Mais néanmoins on voit une fois de plus comment une équipe forte peut se jouer des impondérables (surtout lorsqu’elle joue comme l’ont fait les Belges ce jour-là, sur son propre terrain) et s’imposer. On a parlé ici de deux fusées belges mais une analyse un peu plus complète aurait pu se pencher sur le rôle des autres étages, Van Summeren et Devenyns entre autres qui ont passé une partie de la journée à participer au contrôle de la course.

L’envers de ce travail d’équipe hyper-peaufiné, c’est une certaine finalité, une certaine tendance à l’absence de surprises majeures, ou du moins une tendance à peu récompenser la prise de risque individuelle. Le jeune coureur Romain Bardet qui vient d’arriver chez les pros avec AG2R – La Mondiale illustre bien ce point :

C’est vraiment ce qui m’a marqué cette saison. Les courses sont stéréotypées. La tactique (individuelle, nldr) rentre moins en compte que chez les amateurs. Il y a toujours 15-16 équipes qui courent pour un seul leader et qui font tout pour que ça arrive groupé, soit pour un sprint massif, soit au pied de la dernière difficulté.  Quand l’échappée sort en début de journée, on sait qu’on aura une heure, une heure et demie tranquille avant d’accélérer. Dans les classiques, on se retrouve presque toujours dans des courses de côte.  Les meilleurs sont devant mais pour moi, la course en perd de sa superbe. – Journal L’Équipe 25/09/2012

La course sur route aux Olympiques de Londres 2012 pourraient bien être un cas de figure d’un autre type de course, où pour différentes raisons l’individualité s’oppose aux machines bien huilées. Ce qui en soit n’est pas meilleur ou pire, c’est juste différent.

Légende
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3 commentaires
  1. content que tu apprécies Nick … l’an prochain on verra peut-être un canadien ou un français à l’avant, qui sait … 🙂