Trimomètre #1 > La bourse ou la vie

Puisque j’ai passé le test journalistique pour faire partie de Trimes avec succès (voir mes articles précédents : Classement des québécois sur Ironman, 70.3, dopage chez les amateurs ou la confiture et la puce), voilà une chronique que j’essaierai de tenir lorsque j’en aurai le temps : une rubrique statistique, le trimomètre, où j’essaierai de faire parler les chiffres du triathlon. Car ils peuvent dire beaucoup de choses.

Pour la première chronique, je vais essayer de montrer qu’avec une dizaine de nombres, on peut mettre en lumière toute l’idéologie d’une organisation. Aujourd’hui, je vais parler de la répartition des bourses pour les pros sur les triathlons. Commençons avec Ironman. Vu que ce circuit est le plus populaire, nous comparerons les autres courses en prenant Ironman comme référence. Le graphe ci-dessous montre la répartition de la bourse totale sur une course Ironman, en pourcentage en fonction du classement final. Ici, nous avons pris un ironman avec une bourse de 100,000$, car c’était la bourse offerte sur les ironmans en 2015, mais quel que soit la bourse, la répartition est quasiment identique à quelques demi-pourcents près. Par exemple, le 5ème, d’après ce graphe, empoche 3% des 100,000$, soit 3,000$.

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Cette distribution est dite exponentielle : les écarts d’une place à l’autre sont de plus en grand lorsqu’on se rapproche de la victoire, et de plus en plus petit lorsqu’on recule vers la 10ème place. Comparons à présent avec le circuit Challenge, avec une distribution proposée sur les courses Challenge de distance Ironman en Europe, sur une bourse totale de 50,000 euros. Rappelons au passage que Ironman a diminué les bourses de 100,000$ de 2015 (courses de distances ironman et championnats continentaux de 70.3) à 75,000$ (voire même 50,000$ parfois), ce qui fait, compte-tenu du taux de change, que c’est comparable aux 50,000 euros de challenge.

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On remarque là-aussi une distribution exponentielle mais moins prononcée. Ainsi, le vainqueur d’une course Challenge gagne un pourcentage de la bourse plus petit que sur le circuit Ironman. Pour la deuxième place, c’est identique. Et dès la 3ème place, c’est financièrement plus intéressant de courir avec Challenge. Ce ne sont que des petits pourcentages, mais qui représente des milliers de dollars. Challenge soutiendrait ainsi mieux les athlètes de « milieu de classement ». Quelles conclusions en tirer ? Qu’un athlète qui est sûr de gagner ou de faire 2ème a tout intérêt à courir chez Ironman. Et qu’un athlète qui a seulement le niveau pour viser les tops 5 ou tops 10 trouvera plus intéressant d’aller chez Challenge. Est-ce que ça se passe comme ça en réalité ? Non, car la WTC a d’autres atouts pour fidéliser ses pros, comme le système de points pour se qualifier à Kona ou aux mondiaux de 70.3. Voyons maintenant ce qu’il en est des WTS, le circuit élite mondial de courte distance, donc le circuit le plus relevé au monde, organisé par une fédération, l’ITU, à but non lucratif. Une WTS offre une bourse totale de 150,000$ avec la répartition suivante :

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On voit que la répartition est encore plus linéaire. Le podium empoche une fraction moindre que sur Ironman, le 4ème autant, et les places suivantes sont mieux récompensées. Surtout, les primes s’étendent jusqu’à la 20ème place, avec une rémunération quasiment identique sur les 10 dernières places. L’ITU, en tant que fédération, a effectivement un rôle important qui est de supporter le plus possible d’athlètes, ce qui se voit clairement dans cette répartition. Cela permet aussi de convaincre le plus possible d’athlètes de faire les voyages sur les étapes WTS parfois éloignées. Cette distribution étudiée pour être un support à un maximum d’athlètes se retrouve jusque dans les fédérations plus modestes comme Triathlon Québec : Ci-dessous, on peut voir que la distribution sur les courses élites québécoises (Grand Prix élite) est quasi linéaire, afin de s’assurer qu’un maximum d’athlètes pourra utiliser ces courses comme support financier. A partir de la troisième place, un athlète remporte un plus gros pourcentage de la bourse totale sur un Grand Prix québécois que sur un Ironman. Cependant, on ne verra pas (encore) Jan Frodeno se pointer sur le Grand Prix, car la bourse totale offerte est à la hauteur des moyens que peut fournir Triathlon Québec et les organisateurs des courses locales (5,000$, ce qui est cependant très honorable sachant que la plupart des 70.3 de la WTC n’offrent pas plus de 15,000$).

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La conclusion dans tout ça ? Il n’y a pas de mauvaise ou bonne répartition des bourses, seulement des visions différentes : Ironman préfère valoriser la victoire, car elle n’a pas le même rôle qu’une fédération comme l’ITU ou Triathlon Québec qui, eux, préfèrent supporter le plus d’athlètes. Challenge semble se situer entre les deux.

Cependant on est en droit de se poser des questions sur l’avenir : Ironman semble gagner la bataille face à Challenge et s’imposer comme le seul circuit. Son système de bourses marchait il y a quelques années lorsqu’on voyait des « vrais » pros remporter le podium, et des « semi-pros » (des pros qui ont un travail à côté du triathlon) obtenir les petites bourses suivantes pour compenser les frais de voyage. Cependant, en supprimant les bourses d’une partie de ses courses, et avec la densification du niveau, en 2015 on a observé beaucoup de « vrais pros » peiner à entrer dans les tops 5 voire même les tops 10. Il faut aussi savoir que le 11ème à Kona repart les mains vides, et que 78% des pros qui s’alignent à Kona, n’entreront pas dans les bourses, bien qu’ils soient les meilleurs au monde. Si Ironman et son système de bourse s’imposent dans les prochaines années, certains pros pourraient être financièrement en danger, et faire un pas en arrière en se « semi-professionnalisant ». A l’heure où le nombre d’adeptes et de courses explosent, ce serait un recul terrible pour l’élite. Si augmenter les bourses n’est clairement pas la position actuelle d’Ironman (on rappelle qu’en 2016 les bourses distribuées par Ironman seront sensiblement identiques à celles de 2015, malgré beaucoup de nouvelles courses ajoutées au circuit) on peut se demander si une répartition plus ITUienne des bourses, au moins sur les courses championnat du monde et continentaux, ne profiterait pas plus au développement de l’élite, et à attirer les meilleurs sur ces courses, surtout que cela ne coûterait pas un centime de plus à la WTC.

Heureusement, les primes de courses ne sont pas les seuls revenus des pros. Il y a aussi les sponsors, mais les rémunérations prennent souvent la forme de prime à la performance, suivant le classement, ce qui ne change rien au problème. Pour en savoir plus sur les réalités financières des pros, je vous conseille l’excellent article de Cody Beals, le nouveau pro ontarien. Pour en savoir plus sur les bourses du circuit ironman en 2016, c’est ici.

2 commentaires
  1. « Et qu’un athlète qui a seulement le niveau pour viser les tops 5 ou tops 10 trouvera plus intéressant d’aller chez Challenge. »
    Pas forcément, il vaut mieux gagner 3% de 100 000 dollars chez IM que 4% de 50 000 euros chez Challenge, non ? (sans rentrer dans les taux de change…)

    1. Effectivement, j’ai pris l’exemple d’une course à 100 000$, car c’était le prise money des IronMan en 2015. Mais la WTC a decendu le prize money de ses ironmans à 75,000$ pour 2016, ce qui est pas mal proche de 50,000 euros. D’ailleurs je vais rajouter cette info dans l’article.
      De plus, les courses les plus courantes sur le circuit WTC sont à 50,000, 30,000 ou 15,000$, (la distribution en pourcentage reste quasi identique) voici la liste :
      http://www.ironman.com/triathlon/organizations/pro-membership/event-registration.aspx#axzz2g7aB5oA6