La chronique de Xa’ > Des champions… des héros…

C’est marrant comme parfois des évidences peuvent mettre 25 ans à voir le jour.

Super ligue ou jeu de dupe ?

C’est en regardant le mois dernier la Super Ligue organisée par Chris Mac Cormack sur Hamilton Highland, qu’une étincelle s’est produite… Trois jours de courses rapides, originales et spectaculaires avec quelques-uns des meilleurs triathlètes du moment au départ. Du spectacle, de l’argent, une retransmission de haute qualité et un format pensé par quelqu’un qui connait ce sport mieux que personne… J’ai suivi tout cela… Amusé, intéressé, mais en aucun cas captivé par ce qui se déroulait sous mes yeux…  Pourquoi ? Comment cela était-il possible ?

Je me suis alors rappelé toutes les tentatives du passé pour rendre le triathlon spectaculaire : Le circuit australien et l’ITGP du début des années 90 qui, tous les deux avaient des fortes ressemblances avec la Super Ligue… Les épreuves indoor de Bordeaux et Bercy aussi… Tous ces circuits, toutes ces épreuves n’auront duré « qu’un temps » avant de tomber dans l’oubli…

L’erreur fondamentale est là selon moi… Depuis des années, afin de grandir et de prendre de l’espace, en particulier médiatique, l’essentiel de la réflexion s’est fait autour de la problématique suivante : pour être visible, pour être intéressant, pour devenir « bankable », le triathlon devrait chercher à être plus spectaculaire, et il faudrait trouver la formule magique qui, enfin, permettrait à nos sportifs d’être appréciés à leur juste valeur. La référence étant le biathlon de Martin Fourcade que l’on jalouse autant que l’on admire sur cet aspect…

Ne pas comparer ce qui n’est pas comparable…

J’en suis venu à la conclusion suivante : on pourra inventer tous les formats que l’on voudra, l’intérêt premier de notre sport ne résidera jamais dans cet aspect. Rien ne sert de s’évertuer à essayer de rendre spectaculaire, et de façon artificielle, une pratique qui n’a pas cela dans le sang… Cela sonnera toujours faux et, un peu ridicule même pour peu qu’on accepte de regarder la vérité en face…

Nos élites sont des athlètes extraordinaires… Mais regardez nager les meilleurs d’entres eux à côté des tops nageurs mondiaux, comparez-les sur le vélo avec les meilleurs cyclistes du monde et décortiquez les allures et la foulée de nos champions par rapport à ce qui se fait de mieux en demi-fond, n’importe quel oeil, même profane, aura vite fait de se rendre compte que la différence reste énorme. Tout simplement parce que c’est impossible d’être au top niveau mondial physiquement et techniquement sur trois sports…

La beauté de notre discipline étant justement d’arriver à combiner les trois épreuves pour n’en faire qu’une… Et le spectacle est là : pas au sens premier du terme, mais dans la métamorphose des nos athlètes et l’odyssée dans laquelle ils nous entrainent… Ils nagent vite, ils roulent fort et ils deviennent si beaux et « esthétiques » ainsi, parce que la course nous déroule une histoire qui nous permet d’entrevoir ce prodige sous nos yeux… Mais on pourra faire tout ce qu’on veut, Alistair ne sera jamais aussi impressionnant que Mo Farah en course à pied…

L’essence du triathlon : la symbolique de l’endurance.

Il est évident que notre sport évolue et que cette évolution est bénéfique. Mais je me demande  aujourd’hui si on ne se perd pas un peu. À trop « saucissonner » parfois notre beau sport, j’ai l’impression qu’il se dilue. Les épreuves sont de plus en plus courtes, je ne pense pas que cela respecte les fondements de notre discipline : nous sommes un sport d’endurance avant tout… La vitesse ne doit se greffer dessus et s’apprécier en tant que tel, qu’à condition d’une « base minimale » qui nous permette de percevoir la valeur de l’enchainement des trois disciplines que compte le triathlon… Et ainsi mieux en capter la dureté, la complexité et donc… L’intérêt !

A priori, il serait dans l’air du temps que les prochains JO se déroulent sur format sprint… Ce serait, pour moi, une erreur fondamentale, car il serait possible de voir un athlète « moins fort » remporter la course et s’en sortir sur un effort de courte durée…

En étant provocateur, je rêverais même de voir le triathlon aux JO dans sa forme Ironman… Je ne crois pas du tout, contrairement à ce que beaucoup peuvent penser, que l’on s’ennuierait…

À l’image du cyclisme, le triahtlète représente une image de l’effort et de la résistance et celle-ci ne prend de sens que dans la durée et la temporalité qui, combinées l’une à l’autre, nous permettent de percevoir l’incroyable niveau et la résistance des triathlètes… Notre mythologie, de ce point vu, me semble très proche de celle du vélo pour lequel, ce qui compte, c’est avant tout que l’on nous raconte une histoire, voire une épopée…

Je suis toujours amusé de lire parfois, sur le discussions des forums, que pour voir certaines courses, il suffit d’allumer son ordinateur seulement pour la fin de la course à pied… Il n’y a rien de plus faux que cela… Il suffit juste de voir à quel point cela est insignifiant de ne regarder que l’arrivée d’une étape du tour de France, tellement nul est décevant par rapport aux fois où on a le temps de « se faire » l’étape, si ce n’est dans son intégralité, tout du moins sur les dernières heures. Pareil pour Paris / Roubaix… Tout se décide à partir du carrefour de l’arbre à moins de 20 km de l’arrivée presque à chaque fois, mais on ne regarde pas que la fin, ça n’aurait aucun sens !

Des champions… Des héros ?

Dans cette idée, Frodeno et Kienle m’ont donné des frissons sur le début du marathon à Kona cette année… Je suis certain que c’est parce que j’avais regardé la course depuis des heures et que je trouvais cela, de fait, hallucinant qu’ils courent si vite à ce moment-là… Si j’avais branché mon P.C juste à ce moment-là, j’aurais vu deux triathlètes courir à 3’35 au kilomètre… Toute la montée en puissance dramatique de la course se serait envolée…

Or, le triathlon est, de façon originel et organique, intimement lié au tragique. En tant que pratiquant, en tant que spectateur, c’est ce pivot là qui me fait vibrer… Plus encore que l’idée de vitesse… Je recherche l’intensité émotionnelle par une forme de suspense est d’indécision qui arrive combiner la lutte d’homme à homme avec celle de l’homme contre lui-même et les éléments… avec, surtout,  la possibilité de faillir à un moment ou à un autre !

Ceci n’est pas possible sur les formules ultra spectaculaires et rapides de la super ligue ou sur la distance sprint par exemple. Et c’est pour cela que l’on reste immanquablement sur notre faim !

Une des courses les plus excitantes cette année fut la grande finale mondiale de Cozumel où Jonathan Brownlee a connu son terrible coup de bambou à quelques hectomètres de l’arrivée… Le doute doit subsister… un peu comme sur un marathon en athlétisme : va-t-il tenir ? Vais-je y arriver ? C’est ça qui m’excite, c’est là qu’est l’intérêt premier de notre sport… Le meilleur sera peut-être celui qui est le plus rapide… Mais celui qui gérera le mieux et de façon intelligente aura sa chance et rien ne sera joué jusqu’au bout… Vous pouvez être en tête d’Hawaii en redescendant Allii Drive et tout perdre à quelques hectomètres de l’arrivée… Demandez à Julie Moss, demandez à Paula Newby Frazer…

D’ailleurs, il est intéressant de noter que notre sport avait des véritables héros à ses débuts : du temps où la culture triathlétique se tissait principalement autour d’épreuves longues et difficiles.

Aujourd’hui, nous comptons beaucoup de champions, quelques stars mais de moins en moins de véritables icônes… Et je le regrette un peu !

Mon voeu est pieux, ma chronique, cette fois-ci, est un peu passéiste et nostalgique peut-être… Pourtant, il semble clair que la magnifique performance de Léo Bergère ce week-end à Cannes, a prit « presque naturellement » plus d’épaisseur médiatique que sa 1ere WCS à Abu Dhabi… Sur le plan strictement sportif, je ne pense pas, sa course de Canne soit « plus forte » que ce qu’il a produit il y a un mois… Mais, pour moi aussi, je le confesse, voir notre Léo se battre avec Kienle sur ce format là, avait quelque chose en plus… Imperceptiblement…  Allez savoir pourquoi !

J’ai toujours préféré les héros aux champions… Et vous ?

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