Trimomètre #18 > Une revisite des catégories d’âge + Bonus Kona

Conscient de la dépendance de la performance avec l’âge, les instances du sport d’endurance ont un jour créé des catégories d’âge, ou groupe d’âge (GA) afin de que les athlètes du même âge puissent se comparer entre eux. Ainsi dans le triathlon, les GA sont de deux ans pour les jeunes puis ensuite de 5 ans. Dans l’athlétisme, le fonctionnement  est différent puisque les GA sont par tranches de 10 ans. Des fédérations nationales d’athlétisme comme la France ont même leur propre système de GA avec des tranches de 2 ans pour les jeunes, une de 3 ans (18-21 ans, espoir), une de 18 ans (sénior, 22-39 ans) puis à nouveau des tranches de 10 ans. Bref, si l’idée de faire des GA est bonne, afin de comparer ce qui est comparable, il semble que chaque instance semble définir ces GA comme bon lui semble, presque de manière aléatoire.

Pourtant, les études scientifiques concernant l’évolution de la performance avec l’âge ne manquent pas. Romuald Lepers, triathlète et spécialiste des effets de l’âge sur la performance a profondément sondé le domaine. L’un de ses articles [1] examine les performances des différents GA (top 10 de chacun des GA) sur les championnats du monde distance olympique 2006 et 2007, et sur les Ironman d’Hawaï 2006 et 2007. En prenant le temps du meilleur GA comme référence, et en le divisant par le temps d’un autre GA, on calcule alors un « ratio de performance ». En mettant tous ces ratios de performance dans un graphe (ci-dessous), on voit clairement comment évolue la performance en fonction de l’âge : un plateau de 20 à 40 ans, puis ensuite une décroissance exponentielle. Par exemple, si la performance aux alentours de 20-30 ans est prise comme référence (100%), vers 50 ans, on ne performe plus qu’à 90%, et vers 70 ans, 60%.

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Même si la dépendance de la performance avec l’âge n’est pas la même suivant la distance (olympique ou ironman), on voit clairement une période de 15 à 20 ans où les performances sont proches quel que soit l’âge. Ainsi, si on revient à la définition d’un GA qui de grouper des athlètes de niveau proche, on se rend compte qu’on ne peut pas faire de manière arbitraire des « paquets de 5 ans ».

La question qui se pose alors est : Quel critère utiliser pour déterminer que telle période de l’âge doit être séparée de telle autre période car la baisse de performance est significative ? Commençons par présenter les performances de la manière suivante :

Aux championnats du monde olympique 2006 et 2007 :

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Et aux ironman d’Hawaï 2006 et 2007 :

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Dans ces graphes, chaque barre représente la moyenne des 10 premiers du GA. Le petit intervalle au sommet de chaque barre est l’écart-type. Il montre comment est réparti plus de deux tiers des données. A partir de la moyenne et de l’écart-type, en statistique, on peut calculer quelque chose qui s’appelle la valeur-p. Si la valeur-p entre deux séries de données (les 18-24 ans et les 25-29 ans par exemple) est inférieure à un seuil (5% est en général choisi), alors on peut conclure que les deux séries sont significativement différentes. Par exemple si la valeur-p entre les 18-24 ans et les 25-29 ans est de plus de 5%, on ne peut pas conclure qu’il y a une réelle différence entre ces deux GA. Ils doivent donc appartenir au même GA, qui serait les 18-29 ans. Si elle est de moins de 5%, en revanche, ces deux GA sont trop différents pour être réunis en un seul.

La valeur-p est un outil très utile mais aussi très compliqué à calculer et manipuler. Mais on peut aussi se débrouiller graphiquement : en général si les écart-types de deux séries du diagramme en barre ne se chevauchent pas, la valeur-p associée est alors très petite, et les deux séries significativement différentes.

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A partir de ce critère « graphique », on peut alors trier les séries de performances des GA qui sont statistiquement identiques, et celles statistiquement différentes :

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Voilà un zoom sur les performances de nos GA afin de mieux pouvoir utiliser ce critère graphique qui permet d’estimer si une valeur-p est petite, et de révéler les classes d’âge dans lesquelles les performances sont réellement influencées par l’âge.

Distance olympique :

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Distance ironman :

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On obtient alors le tableau suivant. Ce qui est intéressant, c’est que l’âge influence davantage la performance sur la distance ironman. On aurait pu penser qu’avec le gain naturel d’endurance qui vient avec l’âge, on aurait vu plus de différence sur la courte distance. Pourtant, sur distance olympique, rien ne permet de différencier des athlètes entre 18 et 49 ans. Leurs performances sont toutes très proches. Sur Ironman, il est nécessaire de répartir ces athlètes en trois GA.

GAs actuels 18-24 25-29 30-34 35-39 40-44 45-49 50-54 55-59 60-64 65-69 70-74
GAs déterminés par les performances sur distance olympique

18-49

50-59

60-69

70-74
GAs déterminés par les performances sur distance ironman

18-24

25-39

40-49

50-59

60-64

65-69 70-74

Autre chose intéressante, dans les deux cas, on trouve que les performances entre 25 et 39 ans sont semblables et peuvent être rassemblé en un seul GA. Cela ressemble terriblement à la catégorie « sénior » dans l’athlétisme français. On peut donc spéculer que les GA en France sont établis sur une base plutôt étudiée, mais que les GA espacés de 5 ans en triathlon ont été fait de manière plutôt arbitraire. Si on voulait revenir à l’essence même des catégories d’âge, la dernière colonne du tableau pourrait être une bonne base pour redéfinir les GA en triathlon. On pourrait aussi définir des GA spécifique à la distance et garder les deux lignes du tableau.

On peut cependant trouver un intérêt à garder des GA de 5 ans. De 18 à 80 ans, ils représentent 12 catégories d’âge, 24 en comptant celles des filles. On aurait alors 72 athlètes qui montent sur le podium lors d’un triathlon. Pour un triathlon local de 200 participants, cela représente 36% des inscrits qui ont l’honneur du podium. On peut donc y voir une stratégie marketing, car en récompensant le tiers des participants, on crée un engouement pour les inscriptions de l’année suivante. De même aux championnats du monde, on récompense 24 champions du monde par distance. En comptant le sprint, l’olympique, le 70.3, l’Ironman et le longue distance ITU, plus les élites, ce sont 128 champions du monde de triathlon qui sont récompensés chaque année. Si le terme champion du monde perd de son sens, le fait de distribuer autant de titres devient un argument de poids dans la participation des meilleurs amateurs aux mondiaux, ce qui élève le niveau de ces courses, justifiant ainsi le système de qualification et justifiant l’appellation championnat du monde (et justifiant le prix d’inscription).

Mais d’un autre côté, si multiplier les GA permet d’accroitre la participation sur les triathlons locaux, et de pousser les athlètes à dépasser sur les différents championnats du monde, on ne va certainement pas cracher dans la soupe.

 

BONUS

Puisque cet article parlait des catégories d’âge en triathlon, à quelques heures de l’Ironman d’Hawaï, on ne pouvait pas passer à côté de ce bonus [2].

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Le tableau n’a pas été mis à jour depuis 2013 et les données actualisées sont difficiles à trouver, mais au moins 72% des records sont vieux de moins de 5 ans. Est-ce la distribution de 27 titres mondiaux à Kona qui tire ces performances vers le haut ?

 

[1] http://www.onlinetri.com/sites/romuald-lepers/documents/LepersIJSM2010.pdf

[2] http://www.coachcox.co.uk/2013/10/21/record-breakers-2013-kona-age-group-records/

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