La chronic’ de Xa’ > Le géant de Provence.

Au départ de Sault, il fait frais ce matin… C’est mieux, il faut une heure trente de selle pour arriver à Bédouin, il devrait faire la bonne température au moment de s’attaquer au « monstre ». Cette heure trente à pédaler tranquillement par-delà les magnifiques gorges de la Nesque me permet de me relâcher un peu même si je n’en mène pas bien large en arrivant au pied du Ventoux.

Ca commence plutôt tranquillement. On quitte Bédouin et la foule (et oui, déjà la foule en avril). Je devine bien vite que je ne vais jamais être seul le long de ces vingt km de montée. Je suis malade depuis deux jours, et ça va être salutaire en vérité : tout à gauche et prudent dès le début : Ben, David et Antoine, mes trois compagnons, m’abandonnent rapidement à mon triste sort, et cela aussi me va bien, car je peux laisser aller mes pensées. C’est la chose que je préfère quand je fais du vélo : laisser mon esprit lui aussi voyager. Dans ce lieu chargé d’histoire et de culture, aucun souci, il va s’évader et m’emmener, je ne sais pas où…

Sur les premiers km, la pente est agréable et douce, je double, on me double sans arrêt, mais je n’y prête guère attention, car j’ai déjà dans la tête ma « première rencontre » avec le mont Ventoux… En mille neuf cent quatre-vingt-sept, j’ai douze ans . J’ assiste ainsi halluciné devant ma télé à la victoire de Jean-François Bernard sur le contre-la-montre du Ventoux. Sans casque à l’époque, avec son bandeau dans les cheveux et presque tout en danseuse… Un vrai superhéros pour le gamin que je suis. Ces images sont gravées à jamais dans ma tête. Bernard était mon idole. C’était un surdoué, il avait du caractère et de la gouaille, il allait être le prochain vainqueur Français du Tour c’était sûr… Il n’en fut rien…

Les choses sérieuses commencent après environ quatre kilomètres à Saint Estève. On vire à gauche et c’est parti pour minimum une heure sans aucun répit. Je vais enfin savoir si c’est encore plus dur que « mon col Agnel » que je grimpe en bon « local » tous les étés et qui est mon meilleur ennemi ! Je trouve ça dur mais la forêt est belle… Comme ce Luberon dans lequel je n’étais plus venu depuis ma jeunesse. À l’époque, c’était pour user mes phalanges et mes bras sur les difficiles voies de Buoux ou Lourmarin. Mon prof de grimpe à la fac, Michel Bonnon, « Bonnard » pour les intimes, m’avait fait l’honneur de l’accompagner quelques fois… Ca lui rendait bien service, car il avait presque 60 ans et un petit bidon… Toujours en tête, je m’étais retrouvé, par sa faute, en galère une paire de fois dont une mémorable, dans « le Goître » à Buoux… Une voie un peu mythique dans la fissure d’un dièdre ou la seule solution était de faire des Dülfer pourries et des coincements douloureux… Bref, de la grimpe, pas de chichi, la vraie ! Mon premier big vol n’était pas dans le Luberon mais un peu plus au sud sur les parois de la Concave dans les Calanques… que Bonnon connaissait par cœur pour en avoir équipé une bonne partie dans sa jeunesse… Il savait raconter cela dans ces journées interminables et formidables au pied des falaises : la grimpe des années 70, le temps des pionniers, ses journées avec Georges Livanos à la Parois de Toits… Pour Bonnon, la grimpe n’était pas un sport, c’était un art de vivre. Ses cordes étaient toujours usées et rafistolées avec de vieux scotch, il n’assurait jamais « sec ». Je l’ai haï tant de fois pour ça… R.I.P Michel… Tu m’as fait vivre quelques moments inoubliables…

La forêt, c’est le passage le plus dur du col, mais mes jambes fonctionnent plutôt bien en fait. Je sens que je m’élève et que j’ai trouvé mon rythme. Non loin du Chalet Reynard, la pente semble un peu s’adoucir. La sortie de la forêt se fait sans dommage et je prends à gauche en direction de l’antenne, non sans avoir pris le temps de jeter un petit coup d’œil à droite vers l’embranchement en direction de Sault. La seule et unique fois que j’avais gravi le Ventoux, c’était en arrivant de ce côté-là… Nous sommes en juillet 2002 et, comme souvent, j’ai suivi une idée « géniale » de mon ami Franck : Faire le Ventoux depuis les alpes au départ de Laragne pour bien préparer l’Embrunman… Ok, 200 bornes et 4000 de D+, c’est parti ! Dans mon souvenir le retour fut un enfer, notamment le deuxième passage par le col de « L’homme mort », si, si ! c’est bien comme cela qu’il s’appelle ! Les trois kilomètres suivants me remémorent naturellement les souvenirs d’entrainement et de courses avec « Borgiakov’ »… J’ai presque le sourire aux lèvres… Quelle chance j’ai eu d’avoir à mes côtés pendant plus de quinze ans comme partenaire d’entrainement un personnage aussi singulier et iconoclaste que Franck ! Régime « pizza / Coca » avant comme après les courses, mais surdoué et capable de détruire à peu près n’importe qui sur deux roues à l’époque… Pour peu qu’il en ait eu l’envie ce jour-là !

La fin du Ventoux, lorsque le vent n’est pas trop présent, c’est tout ce que j’aime en vérité. Tu sens que tu es haut, la perspective est incroyable sur les plaines de Provence et du Vaucluse, la pente est presque « facile » et tu sais, par la force de choses, que tu vas parvenir au sommet… Il y a un peu plus d’un mois, j’ai eu l’idée d’appeler mon ami Guillaume pour savoir s’il aurait de la place pour moi et quelques potes pendant une semaine dans son académie de triathlon à Apt… Guillaume, il représente un peu tout ce que je n’oserais sans doute jamais faire dans ma vie ! Tout envoyer balader et prendre des risques pour vivre ton rêve et faire ce que tu as au fond des tripes… vraiment… Il a démissionné de l’éducation nationale pour créer cet ovni ou des jeunes s’entraînent dans un environnement incroyable fait d’exigence, de performance et de compétence. Cela fait trois jours que j’y suis et c’est simple, je n’ai cessé de me dire que j’adorerais avoir trente ans de moins et faire partie de ces jeunes… Avec Guillaume, on avait le point commun de diriger deux sections sportives de triathlon dans nos établissements respectifs… Les mêmes joies, mais aussi les mêmes problèmes immuables liés au mammouth de cette éducation nationale dans laquelle je me sens de plus en plus à l’étroit avec les années… Guillaume a sauté le pas et c’est plus qu’une réussite… aurai-je un jour ce courage ? On a un autre point commun avec Guillaume. Ce point commun va m’accompagner dans la fin de mon ascension. On s’est tous les deux occupés de Léonie Périault. Moi comme prof et lui comme coach. Naturellement, à chacune de nos rencontres, « Léo » revient invariablement dans la discussion, on échange, on cherche le meilleur moyen encore aujourd’hui, de lui être, un tant soit peu, bénéfique. Et cette fin de montée m’a fait rêver un peu plus loin que les plaines du Vaucluse que je vois en bas sur ma gauche… En direction de Paris. Alors Léo, si tu me lis… D’ailleurs, certains disent que dans la vie il n’y a pas vraiment de hasard, il n’y a que des rencontres… Alors laissez moi vous raconter une petite histoire : nous sommes en 1995 et je participe au premier triathlon de Manosque… non loin d’Apt où Guillaume choisira de monter sa structure presque trente ans plus tard ! En tête depuis le début du vélo, l’énergie de mes vingt ans ne suffira pas ce jour là et je vais me faire doubler coup sur coup à moins de 500 m de la ligne pour la victoire… Au moment ou je peste d’avoir manqué le coche, j’aperçois un mec arriver à toutes balles quelques secondes après moi… Il est affuté comme une lame et je me demande bien comment j’ai fais pour terminer devant lui et sauver mon podium ! Effectivement, je ne le battrais plus jamais et pour cause, c’était son premier triathlon et il sait à peine nager… Ce petit mec s’appelle Laurent et il deviendra mon ami par l’intermédiaire de mon pote Franck ( celui du Ventoux !) avec lequel il passera plusieurs années détaché comme sportif de haut niveau au sein de l’armée à Gap… J’aurai la chance de partager des stages mémorables du côté de Hyères en leurs compagnies et de temps en temps avec le grand frère de Laurent, lui-même triathlète de haut niveau… Et qui deviendra le compagnon de Léonie…

Ces hasards, qui n’en sont peut-être pas, me font arriver sans même le réaliser au dernier virage à droite puis à la rampe sous l’antenne pour parvenir au sommet. Mes deux potes sont là, ils ne m’ont pas trop attendu au sommet. La photo traditionnelle est rapide car il fait froid, mais je prends quand même le temps d’aller regarder de l’autre côté vers le nord. De là, la vue sur les sommets enneigés des alpes est tout bonnement incroyable par ce temps. Je reconnais, tout à l’est, la pointe du Mont Viso qui se détache clairement, et un peu plus à l’ouest le Vieux Chaillol. Est-ce la dureté de l’effort qui m’affaiblit un peu ou la grandeur du panorama ? Toujours est-il que mon cœur se serre d’un coup et mes yeux s’humidifient un peu… Le vieux Chaillol, je l’ai fait en ski de rando il y a plus de trente ans avec mon oncle et mon « Padré » parti trop tôt… Et entre le Viso et Chaillol, quelque part, là, juste devant moi et « sous mes yeux » pour ainsi dire, il y a ma ville natale, Embrun et ma Madré qui m’attendent et que j’ai hâte de retrouver dans quelques jours…

En un peu moins de deux heures, j’ai voyagé dans le temps plus encore que dans l’espace. Je me suis « élevé » mais pas seulement au sens premier du terme. Je ne savais pas à l’avance « quoi ou qui » allait percuter ma réalité au détour des virages et au gré des pourcentages. Presque comme à chaque fois que j’enfourche ma bicyclette, je n’ai pas été déçu, ce fut un beau voyage. Le vélo, dans ces endroits, c’est tellement plus que du sport… Il y a des choses impossibles à traduire dans des paroles ou des textes. Monter un grand col à vélo, c’est une expérience mystique, c’est incomparable… Je suis toujours amusé devant la bêtise des gens qui pouffent en se demandant « comment on peut passer des heures le cul sur une selle à pédaler comme un c.. ». Imbéciles, si seulement vous saviez… Merci à ceux qui se sont invités dans mes pensées tout au long de ma montée… Merci à Ben, David et Tonio, mes trois acolytes… Ça aussi, c’est une force du vélo : l’essentiel passe par le ressenti et permet de se sentir en symbiose avec ceux qui nous sont proches… Il suffit de partager l’expérience, elle se passe de mot et se suffit à elle-même. Et merci, mille mercis au Géant de Provence… 

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