Dr Trimes > Des records du monde en triathlon, c’est possible ?

Bonjour Dr Trimes, vous faites mention du record du monde sur distance Ironman de Jan Frodeno, mais comment est-ce possible sachant que les parcours sont très différents, est-ce que tout cela est régi par un organisme ? 

C’est effectivement une question que l’on se fait constamment poser. Pour être très honnête avec toi, c’est un critère marketing. À l’image de la course à pied, il existe un marché pour les parcours rapides. Cela vient du fait que les athlètes souhaitent battre leur marque. Aussi, qui dit rapide dit parcours généralement plus accessible (NB : même s’il convient de pondérer car rester en « prise » pendant tout un parcours roulant comporte une forme de challenge là, où un parcours plus alternatif peut présenter des phases de récupération appréciables). Un Ironman étant déjà un challenge assez majeur pour beaucoup. 

Dans le cas de Challenge Roth, ce triathlon peut se vanter d’être la course la plus populaire au monde avec 5000 athlètes au départ y trouve son compte. En réussissant à aligner quelques-un des meilleurs triathlètes du moment (même si le plateau était exceptionnellement peu dense cette année) et en leur offrant des incitatifs à battre le record, la recette est déjà à point. Pour Challenge Roth, lorsque Jan Frodeno bat le record du monde, cela permet à l’événement d’être nettement plus médiatique. Avec la dominance d’Ironman en longue distance, c’est un enjeu à prendre en compte.

Mais pour revenir à ta question, est-ce que le triathlon devrait souligner ce record, malheureusement, non ! Tout simplement parce que les distances ne sont pas vérifiées et qu’il manque plusieurs kilomètres à vélo et plusieurs hectomètres à pied. Dans le cas d’Ironman, ils permettent une marge d’erreur de plusieurs % mais curieusement les parcours américains sont très rigoureusement mesurés (quasi tous entre 179 et 181km) et les européens plus « latinement » mesurés (173 à Nice, 176 à Klagenfurt, 180 à Francfort).

Il n’est pas rare de retrouver des parcours de natation avec un courant favorable (Panama, Cozumel). 

Et surtout les parcours changent. A Kona par exemple, le parcours a subi plusieurs modifications avec un déplacement de T2 de plus de 10km et même des U-Turn qui ont bougé ces 10 dernières années ; dès lors, parler par exemple du record sur marathon de Mark Allen n’a pas vraiment de sens. A Roth, le parcours pédestre a aussi subi 3 retouches ces 10 dernières années.

De plus, il faudrait remettre en question les parcours vélo avec 2 ou même trois tours, cela signifie que les meilleurs pros doivent dépasser les amateurs. L’athlète profite donc d’un abri pas si marginal mais aussi parfois de ralentissements pour éviter les plus lents. Le cas de l’Ironman Arizona est récurrent avec les pros sans motos ouvreuses qui sont ralentis plus qu’aidés par le dépassement de AG sur voies peu larges à certains endroits.

On est très loin de l’IAAF qui a des critères très stricts afin de valider un parcours de marathon, soit un départ à moins de 50% (distance) d’éloignement de l’arrivée (+ un dénivelé négatif limité à 1 pour 1000) et une interdiction de concevoir un parcours sachant que les athlètes pourraient profiter d’un vent favorable (comme ce fut le cas au marathon de Boston empêchant le record du monde de Mutaï en 2011). A Roth, T2 est éloigné et plus bas que T1 ce qui confère également une autre double source d’avantage chronométrique.

De plus, les marathons sont nettement plus stricts sur le respect de la distance, les parcours doivent être certifiés. Encore de nos jours, les parcours olympiques sont mesurés au compteur Jones.

Si les parcours vélos sont souvent trop courts, c’est aussi le cas pour les parcours pédestres. Il y a quasi systématiquement autour de 41 réels (pour rappel les GPS sportifs surestisment d’environ 1% la distance à une vitesse autour de 15km/h, ainsi un marathon IAAF mesuré fait peu ou prou 42,6km au GPS ), voire moins de 40 comme à l’Ironman Wales en 2012 . On revient toujours à l’aspect marketing où un parcours plus lent devient synonyme de trop difficile.

Il serait pourtant assez facile de retrancher la distance courue à T1 et T2 du parcours pédestre (et ainsi équilibrer un Ironman Zurich aux parcs très courts avec un Ironman Lanzarote ou Wales aux transitions très longues) pour avoir un total de course à pied dans la journée de 42,195km. Idem pour le vélo, sur feu l’Ironman Lake Tahoe, les organisateurs avaient rajouté un petit aller-retour dans une ruelle pour aller les chercher plus de 179km et non se contenter de 175 sous prétexte des 2500m de d+.

Tout cela confirme que c’est question avant tout de volonté politique de l’organisation. Et il semble que les organisateurs préfèrent offrir quelques minutes gratuites à des athlètes en quête de record personnel, de subX ou subY plutôt que d’harmoniser les distances. On pourra reprocher à Dr Trimes d’être rigoriste mais l’inconvénient de la souplesse, c’est qu’on ne sait jamais jusqu’où étirer. 173 km à Nice, pourquoi pas 168 à Lanzarote car il y a souvent le vent en plus ? Bref, il n’y a plus de limites et la tendance va clairement vers les parcours à 3600-175-41 que vers les distances complètes.

Pour finir, si cela s’avère réellement techniquement impossible de réaliser un parcours complet, pourquoi ne pas communiquer sur la réalité des distances ? L’inconvénient est que ce phénomène des distances courtes n’étant pas connu des extérieurs à la pratique voire à la distance Ironman, l’analyse s’en trouve biaisée et les raccourcis nauséabonds encore plus facilités.

Tenter de certifier la distance d’un triathlon est presque un exercice impossible, mais surtout, il n’y a pas de réel effort dans cette direction, à l’heure où la technologie permettrait de le faire avec une marge d’erreur très faible et sans un travail démesuré. Même en ITU, on retrouve des variations dans les distances pour la course à pied. Les coachs des équipes nationales ont d’ailleurs comme tradition de mesurer avant la course le parcours à la roulette afin de mieux apprécier les performances des athlètes.

Dans le cas de Challenge Roth, ne vous étonnez pas si les commentateurs d’Ironman font abstraction du record de Jan Frodeno. La WTC (Ironman) ne reconnait tout simplement pas les courses des concurrents.

Alors pour finir, on devrait se questionner s’il reste légitime de parler d’un record du monde, dans les faits, on devrait uniquement s’intéresser au record sur une course. Dans le cas de Challenge Roth, sachant que quasiment tous les meilleurs triathlètes ont déjà foulé cette terre (et que contrairement à d’autres courses, les changements ont été mineurs), il est alors pertinent de comparer le niveau de performance et vu l’écart avec lequel il a battu les marques précédents, on peut clairement parler d’une référence mondiale ou d’une performance historique, à défaut d’un record du monde en bonne et due forme.

Pour Jan Frodeno, il ne fait aucun doute qu’il est actuellement en train de redéfinir le sport, l’argumentaire est très simple = il n’a aucune faiblesse, il a gagné les plus grandes courses (JO, Hawaii, Roth), fin de la discussion ou rendez-vous dans un an…

1 commentaire