Hugo A. Kerhervé se fait Trimer > L’étude sur la compression expliquée par son auteur

Comme vous devez le savoir, Trimes a troqué la littérature classique contre les publications scientifiques. On aime particulièrement les recherches parce qu’elles nous motivent à remettre perpétuellement en question ses pratiques sportives. Suite à notre article évoquant que la compression aurait un effet positif sur votre biomécanique, face à certains commentaires, nous avons décidé d’aller directement à la source en questionnant l’un de ses auteurs, soit Hugo A. Kerhervé.

Peux-tu nous dire ce qui t’a poussé à t’intéresser à la recherche?

J’étais sportif d’endurance, entraineur, dans une phase de questionnement sur mon avenir professionnel… Le nom de Guillaume Millet est très connu dans les sports d’endurance, et cela m’a motivé pour passer le pas et rejoindre un master spécialisé a Saint-Étienne. Ensuite la recherche m’a permis de concilier des choses qui me tenaient à cœur comme l’approfondissement de connaissance sur l’endurance et la fatigue, mais aussi la culture du challenge qui nous caractérise en sport, et les voyages.

Et tu es l’un des chercheurs qui ont travaillé sur l’étude sur les bas de compressions. Peux-tu nous expliquer comment vous décidez de vous pencher sur un sujet?

Je ne suis pas normand, mais ça dépend ! Sur cette étude en particulier, c’est la rencontre d’un équipementier de premier plan (Thuasne Sport à travers Marion Pasqualini) et d’une équipe de chercheurs renommés (Guillaume Millet, Pierre Samozino, emmené par Thomas Rupp) qui mettent leurs intérêts en commun. La compression est un sujet populaire et actuel, donc tout le monde y trouve son compte. C’est souvent comme cela sur les études de collaborations industrielles.

D’autres études sont élaborées au carrefour de notre intérêt pour un sujet d’un côté, et des manques dans la littérature scientifique de l’autre, avec quand même des considérations bassement matérielles comme les sources de financement possibles. Mais je collabore en ce moment avec une équipe de physiciens de l’École Polytechnique qui élargissent encore ce spectre pour moi : ce sont de curieux professionnels, avec une force de frappe intellectuelle incroyable. Avec eux c’est simplement l’attrait pour une problématique qui décide, et après on s’y jette. C’est très enrichissant.

Comme tu le dis, la compression est un sujet très suivi et donc une industrie dépend des résultats, n’y a-t-il pas une certaine pression à trouver des résultats en leur faveur?

C’est une bonne et légitime question. D’abord pour répondre clairement à ta question : non, pas de pression.

Nous sommes très sensibilisés au conflit d’intérêts, car l’impartialité est notre monnaie d’échange en recherche. Nous ne fonctionnons pas en vase clos, donc si nous perdons cette impartialité, nous pouvons perdre gros, certains en perdent leur job. Mais la recherche bénéficie aussi beaucoup de financements privés pour fonctionner. Nous devons donc être aussi transparents qu’il nous l’est permis.

La discussion de savoir si nous allons être libres de communiquer les résultats publiquement sans interférence intervient très tôt sur ce genre d’études (par exemple si les résultats n’étaient pas positifs pour l’industriel). En l’occurrence sur cette étude, Marion Pasqualini est elle-même docteur en recherche biomédicale, en plus de représenter un industriel, cela facilite beaucoup les choses, car elle connait les règles du jeu. C’est même exactement parce que nous sommes impartiaux devant les résultats que les industriels en viennent à établir des liens avec des équipes de recherche universitaires comme la nôtre. Cette confiance mutuelle ne rajoute que plus de force à ce genre d’articles, d’autant plus lorsque l’industriel prend en charge les couts de publication d’un article comme le nôtre dans un journal en accès libre de haut niveau (l’article est accessible gratuitement pour le grand public).

Mais il existe tout de même un certain scepticisme sur les récentes publications. Dans votre cas, certains de nos lecteurs critiquent le fait que vous n’aviez que 14 sujets…

Merci de poser cette question, c’est souvent une source d’incompréhension de la part du grand public de pouvoir établir des « vérités » sur un échantillon si réduit.

Nous le pouvons, car avons à notre disposition des moyens mathématiques pour contrôler la « puissance » des résultats statistiques sur lesquels nous communiquons, et le moment ou cela ne sert quasiment plus à rien d’ajouter des participants. Si tu n’as que 2 participants, tu n’as effectivement aucune idée de la variabilité d’une mesure en particulier. Par contre dès que tu en rajoutes plus, tu vas commencer à tourner autour d’une moyenne et d’un écart-type, tu vas être capable de « prédire » la réponse d’un participant ressemblant à ta population test. Au-delà d’un certain seuil, ajouter un participant supplémentaire ne va plus faire varier tes résultats, et nous nous situons juste après cette limite.

La base, c’est de savoir si ton échantillon est représentatif de la population que tu souhaites décrire. Par exemple, tu pourrais faire une étude sur la physiologie des finalistes aux 100 m Nage Libre aux JO, et avec 8 participants à ton étude, tu aurais 100% de ta population représentée ! En l’occurrence sur notre étude, nous avons recruté un panel de coureurs entrainés réguliers, car c’est la population qui est la plus intéressée par la compression.

La conséquence de cela, c’est donc que nous raisonnons souvent en recherche sur la base d’un participant « type », le participant « moyen ». Il est possible de lire un article et de se dire que les conclusions ne s’appliquent pas à toi. Mais cela ne veut pas dire que les conclusions de cet article sont mauvaises, mais que tu peux être un participant légèrement en dehors du profil de la population étudiée.

Mais toi, cet automatisme actuel qu’est le scepticisme face aux dernières publications par le grand public, tu le comprends?

Ca dépend de quel genre de scepticisme on parle. Le doute est une qualité et un fondement de la science, je suis donc naturellement sceptique. Donc bien sûr que je comprends le scepticisme face à la recherche, comme n’importe quelle autre industrie.

Par contre ça doit forcément s’accompagner d’une action, d’une direction. Là où je cesse de comprendre le sceptique, c’est quand cette posture est figée, sans se donner les moyens de réduire l’incertitude.

La recherche a développé de nombreux outils pour que le grand public puisse se faire son opinion. Les journaux de qualité ont grandement accru la rigueur des tests statistiques requis pour publication, demandent de stocker les résultats des études sur des serveurs spéciaux en accès libre, publient les noms des scientifiques qui expertisent les articles avant publication… Et quand tu as des auteurs qui ressortent, année après année, c’est un gage de qualité.

Donc bien sûr qu’il ne faut pas prendre le moindre article comme parole d’Évangile. Il faut donc s’éduquer, mais aussi savoir quand demander des comptes si cela semble trop beau pour être vrai. Twitter est une mine pour trouver ce genre de débats qui animent la recherche.

Peux-tu nous expliquer le processus d’une étude, comment arrivez-vous à établir un protocole?

Ah vaste question ! Déjà je peux te dire que le processus n’est pas linéaire, dans le sens où on ne part pas d’une feuille blanche, et on ne brode pas au fur et à mesure jusqu’à l’article que tu as vu passer.

Nous partons du principe que si nous avons une bonne idée, elle a probablement déjà été faite. Nous avons donc pour réflexe d’aller interroger les bases de données de la littérature scientifique, en l’occurrence dans notre domaine c’est Medline ou Pubmed qui fait référence. Ou Google, ça marche bien aussi.

Sur la compression, beaucoup de choses ont été faites en situation de laboratoire. Mais nous avons formulé l’hypothèse que la variabilité des résultats observée lors de l’exercice avec ou sans compression, provenait peut-être du fait que nous n’étions pas assez proches de la situation où les manchons pourraient avoir le plus de bénéfices : lors de la course à pied sur chemins avec changements de direction, de surfaces, d’altitude. En gros, de coller au plus près des conditions dans lesquelles cet équipement est typiquement utilisé et de pouvoir le tester sans délai, ce que nous appelons parfois une situation « écologique ». De nombreuses technologies portables ont été mises au point récemment, ce qui nous a permis de déplacer le laboratoire sur le terrain et de donner toute son originalité à notre étude.

Mais pour en revenir à un niveau théorique pour répondre complètement à ta question, tout dépend de tes hypothèses, et des moyens dont tu disposes pour répondre à ta problématique. Une situation « écologique » n’est pas toujours la panacée, et une étude 100% labo peut être la meilleure solution pour répondre efficacement à un problème.

Brièvement, l’étude semble prouver que la compression modifie la biotechnique, mais n’apporte pas de gains physiologiques à l’effort, est-ce bien cela ? Est-ce que ce résultat t’a étonné ?

Nous avons en effet observé une amélioration de la manière qu’a le coureur d’interagir avec le sol, avec une jambe plus « raide » donc qui s’écrase moins, lors du port de manchons. Je suis naturellement bon public, mais oui ce résultat est étonnant !

Nous ne connaissons pas pour l’instant le mécanisme explicatif de cet apport. Est-ce un effet purement mécanique de support, de réduction des vibrations, proprioceptif ? Nous ne savons pas. Mais ce qui m’interpelle le plus c’est d’avoir fait cette observation dans le contexte des autres résultats, notamment l’absence de gain de performance. Je spécule, mais peut-être que nous devons encore allonger la distance pour voir des effets, ou que nous devons aller voir vers des efforts intermittents, avec des pauses, pour voir un bénéfice sur la performance.

Je sais par contre qu’il y a un excellent groupe de recherche français qui travaille sur la compression lors de la course, donc nous en apprendrons beaucoup plus bientôt.

Vous parlez d’une atténuation au niveau du talon d’Achille. Est-ce que la compression doit alors être considérée comme un outil préventif aux blessures ?

L’atténuation dont tu parles porte sur une moindre sensation de la douleur au tendon d’Achille. C’est une indication subjective, plus proche de l’idée de confort. Nous n’avons pas testé l’effet des manchons sur la blessure, donc ça va peut-être être frustrant pour les lecteurs, mais je ne connais pas la réponse.

D’une manière générale, l’effet d’un équipement sur la prévention des blessures est très difficile à quantifier. Nous pourrions à l’avenir nous pencher sur l’effet des manchons sur certains prédicteurs de la blessure, notamment dans la biomécanique de la course, mais les liens avec la blessure sont indirects, et là encore il y a une grosse variabilité dans la population. Pour le coup, nous aurions besoin d’un très grand nombre de participants, ainsi que de prendre en compte un certain nombre de paramètres de contrôle. Pas impossible, mais difficile.

J’imagine qu’il y aura une suite à cette étude, est-ce que tu entrevois des nouvelles pistes à explorer et donc des nouvelles études à faire ?

La base en recherche, c’est que tu finis toujours avec plus de questions que quand tu as commencé ! Donc effectivement, ce ne sont jamais les idées qui manquent. Après, on en revient au cycle de la recherche que nous avons évoqué plus tôt, donc seul l’avenir nous dira si nous en ferons plus !

Pour les pistes à explorer, j’en ai évoqué quelques-unes : rallonger la distance donc passer à l’ultra, identifier le mécanisme modifiant la biomécanique (mécanique, sensorimoteur, un peu des deux…), savoir si les manchons ont un effet sur des mesures habituellement liées à l’apparition de blessures, et aller voir les effets lors d’exercices prolongés intermittents comme des courses à étapes. A suivre !

La question qui tue, est-ce que tu recommandes la compression?

Là j’ai ma casquette de chercheur donc je ne recommande rien et je vais encore une fois laisser de nombreux lecteurs sur leur faim s’ils cherchent une réponse nette et précise. Par contre ce que je peux dire c’est que nous avons maintenant 2 décennies de littérature scientifique sur le sujet de la compression lors de l’exercice, et il n’y a pas eu d’effets néfastes reportés sur la performance, la perfusion sanguine, la biomécanique du membre inférieur, la perception subjective de la fatigue et de la douleur. Au pire si tu mets des manchons, il ne se passe rien. Et il est possible qu’il y ait même des bénéfices.

A chacun de faire son choix !

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