La chronique de Xa’ > Le crépuscule des champions, Mark et Jan.

A Nice, j’ai vécu une course superbe il y a quelques jours. J’ai sans aucun doute aussi assisté à la fin d’une époque. Quand je regarde le top dix, et même au delà, de ces championnats du Monde Ironman de Nice et bien… à part peut être Patrick Lange et encore, je ne vois que des Young guns. Ceux qui me connaissent savent que je ne risque pas de faire de jeunisme c’est sûr ! Ceci dit, autant la course m’a emballée, autant, elle m’a fait prendre un bon coup de vieux… Et je ne pense pas être le seul !

Un cliché pour l’éternité

Pour être honnête, je n’ai pas réalisé cela tout de suite. Et c’est la vue, aujourd’hui, un peu par hasard, d’une photo magnifique, qui m’a donné envie d’écrire ce texte. Celle de Jan Frodeno et de Mark Allen, en train de discuter face à face, sans doute le soir de la course, au bord de la mer… Ce cliché, que j’ai trouvé superbe, respire la nostalgie. Les deux hommes ne voyant pas l’objectif de l’appareil avec son cadrage 3/4 dos… La nuit qui enveloppe les deux champions un peu avachis sur eux même avec leurs mains dans les poches rend l’ambiance crépusculaire… évoquant pour moi leur propre crépuscule… Je les imagine dissertant sur des anciennes batailles et courses, un peu comme deux vieux boxeurs qui ressasseraient un passé révolu.

L’emprunte du temps qui passe, la fin des jours heureux d’une certaine manière… en tout cas pour moi car, Mark, mais de manière plus surprenante, aussi Jan, font… comment dire… un peu vieux sur cette image…

L’idole de ma jeunesse réuni avec le plus grand champion de ma maturité en tant qu’athlète… Vous imaginez un peu ? Deux monstres de deux périodes déjà bien éloignées l’une de l’autre dans l’histoire de ce sport, mais pourtant, bon sang, Jan est « as been » lui aussi, ça crève les yeux à l’image ! Ça y est ! Ca n’est pas une mais bien deux générations de mon sport qui se sont éteint ce week-end… Et mon Dieu, je me le suis pris en pleine tronche… Tout est passé si vite, trop vite, je n’ai rien vu venir… Sam Laidlow a 24 ans… je ne sais pas comment le dire, mais il est deux fois plus jeune que moi ! Pile-poil ! Oui, il vaut mieux dire ça que d’annoncer être deux fois plus vieux que lui !

Du coup, j’ai filé à la salle de bain pour en avoir le cœur net. Le reflet du miroir m’a fait constater avec effroi ce que je pressentais déjà : sans appel, quelque soit l’angle de vue, c’est bien « un vieux de la vielle » comme on dit qui était en face de moi… Leur crépuscule à eux s’est confondu avec le mien avec une distorsion à peine perceptible… l’écume des jours ou ce qu’il en reste… Dans ces moments-là, il peut être salutaire de se retourner et voir le chemin parcouru. Je ne fais pas parti de leur histoire, c’est clair, mais eux, de tout évidence, ont donné du sens à la mienne, et, pour cela, je leur en serais à jamais reconnaissant…

J’ai un ami qui aime souvent dire : « si jeunesse savait, si vieillesse pouvait… » Alors, aux quelques jeunes qui ont eu l’endurance de ne pas encore avoir fui ce texte… Lisez la suite, car elle peut vous aider. La culture aide toujours : la culture, comme la connaissance et l’histoire, ce sont des clés, à tous les niveaux de pratique ou d’implication !

C’était hier…

Mark dépose Glen Cook en course à pied pour aller chercher Richard Wells et par là même le titre aux premiers championnats du monde d’Avignon en 89. Une heure et demie plus tôt, il accusait un retard que d’aucuns jugeaient impossible à combler après une natation horrible…

À Hawaï, c’est ce même Mark en 87, qui manque de peu d’y laisser sa vie après être allé au bout de lui-même pour tenter de vaincre coûte que coûte l’invincible Dave Scott… qu’il vaincra pourtant, enfin, deux ans plus tard, dans ce qui reste comme le plus grand duel de l’histoire de ce sport. La quête et le combat d’une vie… Sa bagarre dantesque aussi contre Yves Cordier pour déborder le Niçois à un km de la ligne en 1992. Je crois bien que je l’ai détesté autant qu’admiré ce jour-là… Cordier est un immense champion, mais pas une légende, le diable se niche dans des détails qui n’en sont pas !

Les frissons qui me parcourent l’échine et des étoiles dans les yeux un an plus tôt quand Allen signe à Embrun dans le dos de mon t-shirt d’adolescent quelques heures avant de prendre le départ du « D.O » Embrunais, puis de chuter dans l’avant-dernier virage de la descente de Prunières… pour se relever et gagner tout de même devant Simon Lessing… Young Gun de l’époque ! Je passe par là peut-être quinze fois par an et pas une fois, je ne pense pas à cela à cet endroit ! Et croyez-le si vous voulez, mais c’est là exactement que j’ai crevé sur mon dernier Embrunman ! Sans doute un clin d’œil de la petite histoire vers la grande ! Allez savoir, j’aime à croire que c’est le cas !

Dans la faculté à transcender les distances pour performer partout, Kristian Bluemenfeld n’a donc rien inventé : Allen était imbattable, presque tout le temps et sur tous les formats de course alors

inutile de trop s’extasier sur le Blum ! Ce qu’il fait est très fort mais d’autres l’ont fait avant lui et j’espère que d’autre le feront encore… Et pourquoi pas des Français, et pourquoi pas Léo, et pourquoi pas Pierre !

Je me souviens aussi… le sprint ébouriffant de Jan en 2008 à Pékin au nez et à la barbe de tous les favoris pour le titre Olympique ! Et oui, à l’époque, il n’était qu’un outsider de la course. Comme celle de Mark, l’histoire de Jan doit nourrir aussi nos Frenchies dans la perspective de Paris… Personne ne donnait Frodeno gagnant en 2008… Cela faisait déjà quelque temps qu’il était sur le circuit, costaud mais pas le Number one et c’est à partir de ce tournant décisif que sa carrière et sa vie d’athlète ont été bouleversées ! Ses défaillances et renaissances à Hawaii aussi où il aura tout connu, la gloire comme la désillusion…

Non, vraiment, ces deux-là, à mes yeux, sont les plus grands… Mes modèles, mes références et sans doute celles d’une bonne partie des triathlètes de la première heure. Ils le sont, car ils avaient tout : la force, le charisme et l’intelligence. Mais surtout, l’époque leur a permis de devenir des icônes de ce sport… Le triathlon était une discipline beaucoup plus limpide avec des codes et des « balises » qui jalonnaient les rendez-vous de l’année et permettaient de définir une hiérarchie claire. Aujourd’hui, cela est plus flou et compliqué, et c’est une chose qui m’attriste vraiment…

Charabia…

Car je pense que ç’est bel et bien fini. Depuis quelque temps, le triathlon part dans tous les sens… entre les courses PTO et un classement PTO qui prend en compte des courses réservées et d’autres non, pour établir une hiérarchie pourtant commune, les championnats du monde Ironman, les épreuves Challenge, les courses world triathlon dont les appellations réussissent tout de même l’exploit qu’une coupe du monde ne soit pas le niveau le plus haut ( ce sont les WTCS… Sigle à la fois incompréhensible et indigeste…), la Super League… Honnêtement, on n’y comprend rien à rien ! Et aux athlètes comme à ceux qui s’intéressent au triathlon, de naviguer au milieu de tout cela « à vue » et sans fil directeur. Non, vraiment, ça n’est pas sérieux, et cela, d’une certaine manière, me rappelle l’exemple funeste de la boxe où la guerre entre les fédérations gangrène le sport et le rend illisible et peu crédible… Et par conséquence, ses champions !

Je sais bien, j’ai une fâcheuse tendance à être négatif… Ça m’arrive fréquemment, je vais tâcher de travailler là-dessus ! Gageons aussi que l’un ou l’autre des nouveaux talents de notre discipline saura me sortir de ce marasme qui me rattrape trop souvent. D’ailleurs, il y en existe objectivement quelques-uns et sans chauvinisme exacerbé, j’en vois plusieurs dans le camp tricolore…

Mais pardonnez-moi, ce soir et avec la fin de l’été et les jours qui raccourcissent, mes yeux ne vont pas arriver à décoller de cette photo. C’est autant une question de représentation que d’esthétique. Elle est traversée de trop de sens et d’histoire cette image pour le passionné que je suis. Tout se mêle : la trajectoire de ces deux champions incroyables, ma petite vie de « fan ». Car ce n’est pas un gros mot, j’ai toujours eu une propension à l’admiration, Quel que soit le domaine d’ailleurs…

Et en y regardant de plus près, je les trouve un peu âgés… certes, mais finalement pas si vieux et pas vraiment moche au final…

Et si je retournais à nouveau dans la salle de bain ? Pour en avoir le cœur net !

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